Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À table, au bord d’un bois, le long d’un clair ruisseau,
Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau,
Pourvu que ce dernier se traite à la légère,
Et que la nymphe ou la bergère
N’occupe notre esprit et nos yeux qu’en passant :
Le chemin du cœur est glissant[1].


Voilà quel était le pénitent de l’abbé Pouget : une âme droite, naïve, franche et qui devait offrir peu de résistance à l’appel de la grâce, puisqu’elle n’avait jamais contesté le premier article du Credo. La Fontaine avait violé sans relâche le sixième et le neuvième des commandements de Dieu ; mais il y a des repentirs et des engagements qui ne coûtent pas beaucoup à un vieillard de soixante-treize ans qui se sait malade à en mourir. Seulement, La Fontaine était poète, et il fallait obtenir de lui qu’il condamnât non seulement sa vie, qui était bien près de finir, mais aussi ses ouvrages qu’il jugeait innocents. Avant de l’admettre à la participation des sacrements, l’abbé Pouget exigeait de lui le désaveu public des Contes en présence de l’Académie française, puis la promesse « de ne jamais plus contribuer à l’impression ou au débit du livre et de consacrer désormais son talent à des ouvrages de piété, jamais à des ouvrages qui y fussent contraires. »

La Fontaine eut peine à accepter les conditions de son confesseur. « Il ne pouvait pas, dit l’abbé Pouget, s’imaginer que le livre des Contes fût un ouvrage si pernicieux, quoiqu’il ne le regardât pas comme un ouvrage irrépréhensible et qu’il ne le justifiât pas. Il protestait que ce livre n’avait jamais fait de mauvaise impression sur lui en l’écrivant, et il ne pouvait pas comprendre qu’il pût être si fort nuisible aux personnes qui le lisaient. Ceux qui ont connu plus particulièrement M. de La Fontaine, n’auront point de peine à convenir qu’il ne faisait point de mensonge en parlant ainsi, quelque difficile qu’il paraisse de croire cela d’un homme d’esprit et qui connaissait le monde. »

L’abbé Pouget tint bon ; La Fontaine céda. Il céda encore quand l’abbé Pouget lui imposa de détruire une comédie qu’il devait bientôt remettre aux comédiens. Le manuscrit fut jeté au feu. Et La Fontaine reçut l’absolution.

Le 13 janvier 1693, accompagné d’une délégation de

  1. Lettre à M. de Saint-Évremond. 18 décembre 1687.