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Une lettre qu’il écrivit à Maucroix le 26 octobre 1693 et dont e texte complet n’a été mis au jour qu’en 1911, va nous faire entrer de plain pied dans l’existence quotidienne du vieillard, nous montrer ses travaux, ses occupations, ses soucis. On jugera si tout cela révèle une « tête affaiblie. »

Il envoie à son ami une copie de son Dies iræ et lui donne quelques nouvelles des récents événements d’Italie : la défaite du duc de Savoie, l’attitude du pape, etc… On a déjà noté, à plusieurs reprises, combien il s’intéressait aux affaires de la politique et de la guerre : il y avait en lui l’étoffe d’un bon gazetier. Puis il annonce à Maucroix qu’il lui adressera toutes ses hymnes, « quand il les aura mises un peu plus au net, » et le prie de les comparer à celles de Messieurs de Port-Royal. Il lui prodigue les conseils pour ses traductions.


Je te conseille de traduire l’action des « Fourches Caudines » qui est dans Tite Live avec les harangues de part et d’autre. Jamais les Romains ne m’ont semblé si grands et si pleins de cœur qu’en ceste rencontre ; je ne m’étonne pas que ce peuple se soit rendu maître de l’univers. La dissertation de cet historien sur ce qui regarde Alexandre est bonne aussi à traduire. Mande-moy où je pourray trouver ton Rationarium Temporum (c’était un abrégé chronologique de l’histoire de l’univers) et ton Sanderus (c’était une histoire du schisme de l’Angleterre). Envoye-moi incessamment ton « Dialogue de Causis, » elle reste que tu as traduit de Tite-Live et que tu m’as desjà envoyé et que je t’ay renvoyé avec quelque peu de notes ; tu y joindras pareillement l’Asterius et tes dialogues de Contemnenda Morte, de Amicitia et de Senectute ; il te faudra traduire aussi les Offices. Voilà bien de la besogne, mais qu’y faire ? Je mourrois d’ennui si je ne composois plus.


C’est le cri de tous les vieux hommes de lettres, surtout de ceux qui furent autrefois les plus nonchalants. Aux approches de la mort, la paresse leur devient intolérable : c’est l’heure du « long espoir » et des « vastes pensées. » — « J’ay un grand dessein, poursuit La Fontaine, où tu pourras m’ayder, je ne te diray pas ce que c’est, que je ne l’aye avancé un peu davantage. » et il ajoute, comme s’il devinait le sourire de Maucroix : « Je continue toujours à me bien porter, et ay un appétit et une vigueur enragée. Il y a cinq ou six jours que j’allay à Bois-le-Vicomte à pied, et sans avoir presque mangé ; il y a d’icy cinq lieues assez raisonnables. »