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la rue Plâtrière. Il passa les deux dernières années de sa vie dans cette somptueuse maison dont les plafonds décorés par Mignard représentaient l’apothéose de Psyché et l’histoire d’Apollon. Plus d’une fois le vieux poète dut contempler, avec un plaisir mêlé de remords, les gracieuses figures qui avaient enchanté ses trop païennes rêveries, et plus d’une fois chasser d’un signe de croix le matin qui lui chuchotait à l’oreille : « Toutes ces divinités, tu les a chantées ; regarde l’aventure de Daphné dont tu fis un opéra ; vois le Parnasse où, parmi le chœur des Muses, tu contais à Apollon la froideur, puis le soudain baiser de Clymène ; et voici Psyché, mère de cette « Volupté divine » que tu célébrais dans les bosquets de Versailles. » Mais il s’agissait bien de Daphné, d’Apollon et de Psyché ; maintenant il fallait tenir ses promesses et penser à son salut. La Fontaine y pensa avec une constance qui émerveilla ceux qui connaissaient sa naturelle fragilité, « vrai dans sa pénitence, dit l’abbé d’Olivet, comme il l’avait été dans tout le reste de sa conduite et n’ayant jamais songé à tromper ni Dieu, ni les hommes. »

Il se mit donc à paraphraser des psaumes. Il s’en acquitta de son mieux. Son Dies iræ n’est pas un des chefs-d’œuvre de la poésie sacrée ; mais il est plus facile à un vieil homme de changer sa vie, qu’à un vieux poète de renouveler sa poésie.

On fit courir le bruit qu’il était sorti de sa maladie, la raison atteinte, presque en enfance. « Sa tête est très affaiblie, » écrivait Ninon de Lenclos à Saint-Evremond, qui, à son tour, écrivait à la duchesse de Mazarin : « A son âge et au mien, on ne doit pas s’étonner qu’on perde la raison, mais qu’on la conserve… Le mal n’est pas d’être fou, mais d’avoir si peu de temps à l’être. » En vérité, Saint-Evremond, Ninon et les autres étaient vexés d’une conversion qui réjouissait les dévots, et, de dépit, ils allaient répétant que le bonhomme était gâteux. Or jamais La Fontaine ne fut plus actif, plus dispos au travail que dans les mois qui suivirent sa convalescence.

Il retourna à Château-Thierry ; jamais il n’avait cessé d’y faire de plus ou moins longs séjours. Cette fois sera la dernière qu’il reviendra au pays natal. Revit-il sa femme ? Lui demanda-t-il pardon de ses torts ? Les deux vieux époux se réconcilièrent-ils ? Jusqu’au bout l’on est condamné à ne pas savoir grand’chose de la vie conjugale de La Fontaine.