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dans la solitude, dans cette plaine infinie « où le grand fleuve se perd et embrasse la paix ; » et il vient achever, dans ce désert solennel où se défait Ravenne, le songe de sa vie.

C’est bien là qu’il devait écrire l’ultimo lavoro, la dernière strophe du poème, ce chant supra-terrestre où respire déjà le calme d’outre-tombe. Chateaubriand n’a fait qu’un mot d’esprit, quand il a dit que Dante avait « manqué son ciel. » Sans doute, il n’avait pas bien lu le Paradis. Cette dernière cantica ruisselle de beautés. Dante se détache de la terre. Il envisage notre globe comme un point infime de l’espace, dont les misérables intérêts ne lui arrachent qu’un sourire. Tout paraît désormais vu d’en haut, par immenses panoramas, comme par un homme qui plane. L’histoire entière se résume dans la sublime légende de l’aigle. Les violences s’apaisent. L’imagination du poète, qu’on se figure se délectant dans les tourments et dans les gênes, se noie avec ivresse dans les « splendeurs de Dieu. » Une bienveillance inconnue, une détente, une soif de tendresse et d’amour, remplace la fureur et la haine. Dans une page charmante, toute platonicienne, de son Banquet, le poète avait décrit les âges de la vie : il avait dépeint le bonheur du De senectute, lorsque le vieillard « retourne à Dieu, comme le voyageur rentre au port, en bénissant la route qu’il vient de parcourir. » Ce regard qui approuve, qui couronne, qui rend grâce de la vie et de la mort, le poète à présent le jette sur son passé. Du fond de sa jeunesse, lui remontent à la mémoire des images riantes de sa « vila nuova » ou de sa « vie en fleur : »

Donne mi parver non dal ballo sciolte
E come surge e va ed entra in ballo
Vergine lieta

« On eût dit de jeunes femmes qui, au milieu du bal, s’arrêtent, attentives, jusqu’à ce que l’orchestre ait repris la mesure… Et comme se lève et va et entre dans la danse une vierge riante et belle d’innocence, heureuse de faire honneur à la nouvelle épouse… » Et ce sont encore de merveilleuses images de l’enfance, les plus tendres « Madones » qu’ait peintes la poésie :

E come fantolin che inver la mamma
Tende le braccia, poi che il latte prese

Ou enfin ces magiques « nocturnes, » d’une mélodie intraduisible, et d’un enchantement inégalé depuis le per arnica silentia lunae,

Quale nei plenilunii sereni