Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Université, devait un jour remplir la haute charge d’inspecteur général, on ne le vit pas s’habituer à la vie des grandes villes. Il demeura sans goût pour la carrière de l’enseignement, vers laquelle on cherchait à le diriger, dédaigneux des réceptions et même des relations mondaines, peu discipliné, ardent et toujours en projets sous de calmes dehors. Après avoir terminé ses études, au lycée Louis-le-Grand, il se trouve obligé, selon la loi commune, de choisir sa place future dans la société, et d’y tendre. Que fera-t-il ? Il n’aime que le sport, le grand air, les philosophes grecs et la poésie française. On l’a surpris, bien des fois, enfermé dans sa chambre, et déclamant des vers. Mon Dieu, il fait son droit, comme d’autres, pour contenter, je suppose, sa famille, et se donner du large. Trois ans, c’est un répit. En même temps, il suit les cours de l’Ecole des langues orientales vivantes, et obtient le brevet d’annamite. Il prépare aussi les examens d’entrée de l’Ecole coloniale, est admis, mais n’entre pas, et donne sa démission. Preuves de bonne volonté ; tentatives sans lendemain ; jeux sur la grève : il est né pour autre chose, pour voyager et pour écrire. Comme tous ceux du rivage, il appartient à l’espèce des inscrits, des hommes dont le nom figure au grand livre de la mer et des îles. Autour de lui on a pu en douter, mais lui, il sait bien déjà d’où le vent souffle. Pendant cette période, il écrit d’abord, en 1904, une nouvelle courte, la Rivière, puis une série d’articles, « Pour Gringalet, » et d’autres nouvelles, çà et là, comme la Peur. Tout cela est publié dans son journal favori, le Vélo, destiné à devenir le Journal de l’automobile et de tous les sports et, finalement, l’Auto. A plusieurs reprises, Hémon a déjà fait des séjours en Angleterre, et c’est dans la vie anglaise qu’il a pris ses premiers modèles.

J’imagine qu’il était bien accueilli chez nos voisins, ce robuste garçon qui parlait l’anglais comme le français, avait fréquenté les salles d’armes, marchait indéfiniment sans ralentir le pas, connaissait les secrets de la boxe comme un étudiant d’Oxford, et, sur la plage de Hastings, parmi des amateurs qui ne manquent pas de hardiesse, se révélait comme un nageur téméraire. Il devait plaire encore aux Anglais de son âge, et même à ses aînés, parce qu’il était bien élevé, réservé, très versé dans la littérature anglaise, capable de plaisanter gravement, et de se taire pendant longtemps, entre amis.