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I

Ce n’est pas du nouveau que l’extrémisme en Irlande. Du moment où, conquise par Cromwell et par Guillaume III, l’Irlande n’a plus été à même de lutter à armes égales contre sa puissante voisine, la guerre ouverte s’est muée en action révolutionnaire : c’est l’insurrection de 1798, avec Wolfe Tone et lord Edward Fitzgerald, c’est la conspiration de Robert Emmet ; en 1848, c’est le soulèvement de la Jeune-Irlande, avec John Mitchel et Smith O’Brien ; puis c’est le Fenianisme, qui sombre dans le crime des « Invincibles. » Sous des formes diverses, c’est toujours le recours à la force, avec cet objet de rejeter le joug anglais et de gagner l’indépendance. Il est, depuis un demi-siècle, ardemment excité par cette « plus grande Irlande, » l’Amérique, où Érin a vu émigrer, sous l’effet de la grande Famine, de la misère et de l’oppression, les meilleurs de ses fils, devenus les plus acharnés dans leur antibritannisme et dans la propagande contre l’Angleterre. En acte ou en puissance, l’extrémisme est ainsi toujours là. Dans les temps où le jeu constitutionnel semble autoriser quelque espoir, il se tait et se terre ; mais invisible et présent, il reste prêt à reprendre sa place de bataille.

Tel était le cas aux temps qui précédèrent la guerre. Depuis quarante ans que régnait le parti constitutionnel, l’extrémisme était en sommeil : il n’avait pas disparu pour cela. Il y en avait même de plusieurs espèces. Il y avait d’abord les restes des anciens Fenians, l’Irish republican Brotherhood, en relations étroites avec les Irlandais-Américains. Il y avait un vague républicanisme assez répandu chez les intellectuels. Il y avait à Dublin, — chose nouvelle, — un parti révolutionnaire ouvrier, nationaliste en même temps que marxiste, né d’une série de grèves malheureuses et entretenu par la misère dans la capitale irlandaise. Il y avait enfin le Sinn Fein.

Celui-là est alors moins un parti qu’un esprit, une influence, un prosélytisme national. Il se place au-dessus de la politique et’ appelle à lui, par la voix de M. Arthur Griffith, tous les fils d’Érin, sans distinction de classe ou de croyance. Sinn Fein[1] !

  1. Prononcez : Chinn Féne.