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le pays vers les sociétés secrètes et laissant le champ libre aux violents ; la réponse est l’horrible attentat de décembre contre le maréchal French. Si rude est l’oppression que le Times y voit de la provocation, accusant le « Château, » ou la coterie réactionnaire qui y règne, de pousser l’Irlande à une révolte qui serait ensuite noyée dans le sang, ou tout au moins de soulever dans le pays un état de choses tel qu’un règlement devienne impossible : autrement dit, le jeu joué par Pitt en 1798, et qui aboutit à la suppression du Parlement de Dublin et à l’Acte d’Union. De janvier 1919 à mars 1920, les Irlandais ont compté 22 279 raids sur les maisons, 17 meurtres, 2 332 arrestations politiques, 151 déportations, et 402 édits de suppression de réunions ou de journaux.

Quoi qu’il en soit, on constate qu’à partir du début de 1920, la violence, de part et d’autre, s’affranchit de tout frein et se donne libre carrière. Le « Château » veut rétablir son pouvoir à tout prix : le Sinn Fein veut à tout prix détruire ce pouvoir, expulser du pays le gouvernement britannique, en l’usant, en le paralysant, en démontrant que la coercition est impuissante et que l’Irlande est ingouvernable par l’Angleterre. En même temps que, du côté des « forces de la couronne, » la coercition s’exaspère sous la forme de « représailles, » on voit du côté irlandais l’insurrection s’organiser et les attentats, qui jusqu’alors étaient restés isolés, sporadiques, faire place à une campagne systématique, à un plan concerté et coordonné pour la « suppression » du gouvernement britannique et de ses agents, de tous ceux qui, du haut en bas de l’échelle, participent à son service.

L’insurrection ? Non pas le soulèvement en masse, l’offensive ambitieuse, où la partie serait trop inégale, car il est clair que contre la force militaire anglaise l’Irlande est impuissante en bataille rangée ; mais la guérilla, quotidienne, partout présente, douée de mille formes depuis le meurtre ou l’incendie isolé, l’embuscade banale ou le coup de main local, jusqu’aux grands raids et aux attentats retentissants ; la guérilla anonyme, ingénieuse, qui agit par la vitesse et la ruse, la surprise et le guet-apens, dans l’imprévu et le mystère, éclatant toujours là où on ne l’attend pas, énervant le civil sous la menace constante du coup de revolver ou de bombes, usant la force armée dans l’alerte continuelle et l’attente de l’attaque