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pour identifier l’Occitanienne avec M, ne de Vichet. Car, n’est-ce pas ? nous ne jurerons pas qu’en 1829, René n’ait pas noué, à Cauterets, une intrigue ou un commencement d’intrigue avec la piaffante baronne de Vatry.

Pour dater de 1834 la confession délirante, et pour n’y voir qu’un simple « exercice littéraire, » l’abbé Pailhès s’appuyait sur des raisons peut-être moins fragiles. D’abord, il remarquait assez justement que certains détails du paysage qu’évoque Chateaubriand dans ces pages ne s’appliquent guère à Cauterets, et se rapporteraient bien plutôt à Fontainebleau. Or, en novembre 1834, Chateaubriand est précisément à Fontainebleau, et il écrit de là à Mme Récamier, le 5 : « C’est dans le délicieux désert de Henri IV. J’ai peur qu’au lieu de faire du vieux [les Mémoires d’outre-tombe] je ne me mette en frais d’élégie. Je suis déjà assiégé de douze ou quinze muses. » Et le 6 :

La pluie n’a pas cessé de toute la journée. Le château, ou les châteaux, c’est l’Italie dans un désert. J’étais si en train et si triste que j’aurais pu faire une seconde partie à René, au vieux René ! Il m’a fallu me battre avec la muse pour écarter cette mauvaise pensée ; encore ne m’en suis-je tiré qu’avec cinq ou six pages de folie, comme on se fait saigner quand le sang porte au cœur ou à la tête. Les Mémoires, je n’ai pu les aborder ; Jacques [de George Sand], je n’ai pu le lire. J’avais bien assez de mes rêves. A vous seule, il appartient de chasser toutes les fées de la forêt qui se sont jetées sur moi pour m’étrangler. Je devrais mourir de honte d’être comme cela. Je mets ma honte et ma tendresse à vos pieds.

Et l’abbé Pailhès pensait que ces « cinq ou six pages de folie, » ce sont précisément celles qui nous ont été conservées par le manuscrit de la Bibliothèque nationale.

La conjecture était si engageante qu’Emile Faguet en a été très ébranlé dans ses convictions premières. Tout en formulant certaines objections de détail, tout en déclarant que la confession délirante peut encore fort bien se rapporter à l’Occitanienne des Mémoires, il admettait qu’elle peut fort bien aussi avoir été écrite à Fontainebleau, en novembre 1834. Mais il se refusait à n’y voir, avec l’abbé Pailhès, qu’ « un simple exercice de style. » « Tout cela, disait-il, est écrit avec du sang qui coule du cœur. Tout cela, c’est cris furieux de passion enragée. » Et affirmant avec force que la « confession délirante se rapporte à un objet très précis, » il ajoutait : « Chateaubriand est à