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Fontainebleau ; il rend compte jour par jour à Mme Récamier de ce qu’il fait. Il y a quelques entrevues avec une fillette. Il en est très troublé et redevient René pour huit jours. Il écrit cinq ou six pages d’élégie sur cela. Et il raconte tout cela à Mme Récamier, bien entendu, moins la fillette. » Je ne suis pas sûr que ces « rapides amours platoniques et du reste très tragiques, » aient été aussi platoniques et aussi tragiques que paraît le croire Faguet. Mais ceci mis à part, j’interprète exactement comme lui les deux lettres à Mme Récamier.


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Et tandis que ces divers écrivains discutaient et entrechoquaient leurs hypothèses respectives, se reportant, lui tout seul, au manuscrit de la Bibliothèque nationale, Maurice Masson, dans un pénétrant et solide article que l’on ferait bien de recueillir en volume, s’efforçait de serrer la question de plus près que nous ne l’avions tous fait avant lui. Etudiant à la loupe l’écriture, l’encre, la couleur, le grain, le format, l’état de conservation de ces différentes feuilles manuscrites, il en arrivait à conclure, — Vogué avait eu un peu l’intuition de cela, — que la confession « n’a pas été écrite en une seule fois, » et il en répartissait les fragments en trois ou quatre groupes différents, qu’il proposait de rapporter à des dates différentes. L’un de ces groupes ramasse et concentre toutes les ressemblances verbales que nous avons notées plus haut avec la pièce A Délie : il le datait avec infiniment de vraisemblance de 1823. Et quant aux autres, il s’abstenait de les dater. Mais ce morcellement même le mettait sur la voie d’une observation très générale dont nous allons voir l’intérêt.

« Ainsi, écrivait-il, les pages autographes de la Bibliothèque nationale appartiennent très vraisemblablement à des moments et peut-être à des romans divers. » Et rappelant combien ces romans de Chateaubriand avaient été nombreux « entre cinquante et soixante ans, » — et peut-être même au-delà, — combien de femmes « ont dû passer dans cette vie finissante, qui ne se lassait pas de désirer l’amour et d’en souffrir, » il multipliait les rapprochements, et il constatait que tous les passages, — y compris la confession délirante, — où nous percevons l’écho, direct ou affaibli, de ces amours d’automne, expriment la même pensée de folle ardeur désolée et rendent,