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le plus lointain, on s’aperçoit que ce sont toujours les Douze grands dieux qui y président, et qui, sous un ciel si éloigné du ciel romain, restent la personnification du peuple nouveau. Sur les bords de la Plata, avec la sagesse latine et l’éloquence espagnole, la poésie fleurit. On peut dire qu’elle est universelle, et que le don poétique est répandu partout. Ici il faut citer d’abord l’épopée aujourd’hui classique de M. Zorrillo de San Martin, El Tabare, qui a été traduite en français. On dit qu’il y a aussi de fort belles choses dans les Peregrinos de piedro de M. Herreira-y-Reissig.

Autant la poésie fleurit naturellement sous ce beau ciel, autant le théâtre y a été tardif, soit par un jeu contraire des circonstances, soit par un effet du tempérament national. Non qu’on n’aime pas le théâtre : mais l’usage est d’aller au théâtre espagnol ou français. Cependant depuis une vingtaine d’années, il s’est développé sur les bords de la Plata un théâtre national. Ce théâtre est commun à l’Uruguay et à la République Argentine, c’est-à-dire aux deux rives du fleuve, mais beaucoup d’auteurs, parmi les mieux doués, sont uruguayens ; Buenos-Aires leur fournit des salles de spectacle, des acteurs et le public d’une ville de 2 millions d’habitants. Ce théâtre que je connais par la seule lecture, m’a paru d’un très vif intérêt, et je ne sais si les Orientaux eux-mêmes mettent à sa vraie valeur un Florencio Sanchez. De plus, beaucoup de ces pièces sont des documents qui nous aident à comprendre l’évolution de la vie en Uruguay.

Il y a vingt ou vingt-cinq ans, une troupe de cirque, qui s’appelait la troupe Podostà, avait coutume de jouer, à la fin du spectacle, sur la piste même, une petite pièce qui était une histoire de gaucho. Ces saynètes sont l’origine du théâtre national sur le Rio de la Plata. Un jeune auteur, nommé Florencio Sanchez, qui était né en 1875, transporta la pièce gaucho sur les théâtres réguliers. J’ai sous les yeux son premier ouvrage, M’hijo et Dolor. Mme Rlanca Podestà a raconté comment, tandis qu’elle jouait au théâtre Comedia, à Buenos-Aires, le directeur amena à la fin de la répétition un jeune homme maigre, osseux et mal vêtu, qui serrait dans sa main une poignée de petites feuilles de papier. « Messieurs, dit le directeur, voici un grand auteur de l’avenir. » Le jeune homme serra les mains, timidement, sans dire un mot. Il