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jamais ni ne descend un escalier. Et je comprends la petite scène qui s’est passée sur mon palier, il y a quelques années, lorsqu’une jeune actrice américaine était venue me demander une de mes pièces pour en jouer le principal rôle dans son pays. Comme je la reconduisais et comme elle réclamait l’ascenseur pour descendre les quatre étages, je fus obligé de lui avouer que l’ascenseur (un humble ascenseur à billes et si lent !) ne prenait pas de voyageurs à destination de la terre. Alors elle échangea avec le manager qui l’accompagnait un regard dent je me sentis confusément gêné, mais dont je ne comprenais pas toute la signification. Je la comprends aujourd’hui : c’était un regard de pitié et qui en disait long sur nos ascenseurs, sur nos aises, sur nos commodités et, d’une façon générale, sur notre civilisation.

Nous sommes remontés dans nos chambres. Visite de M. Brander Matthews, chancelor de l’Académie américaine des Arts et des Lettres. M. Matthews est un moliériste distingué ; il a écrit sur Molière un livre excellent : c’est aussi un ami de Chevrillon ; ils échangent en anglais des souvenirs. Puis M. Haskell et miss Jones de la dotation Carnegie viennent nous chercher, comme ils l’avaient dit. Nous parcourons New-York en automobile dans tous les sens ; je prends une impression rapide de cette ville prodigieuse. Il souffle un vent assez froid. Je connais enfin la fameuse Cinquième Avenue. Autobus à caisse verte et à roues jaunes, taxis orange, blanc et marron, blanc et noir, chapeaux des femmes aux nuances vives ; le rouge domine ; il y a beaucoup de couleur et toutes les couleurs. Les femmes portent les robes et les cheveux très courts. Il paraît que les coiffeurs américains pour dames possèdent le secret d’une frisure qui tient admirablement ; de là cette mode des cheveux courts ; on m’a donné cette explication ; je ne la demandais pas, je la rends, je la remets dans la circulation. Le mouvement ne semble pas plus intense que sur nos boulevards, c’est sans doute qu’il est dirigé avec plus d’ordre. Il y a, de place en place, aux principaux croisements, dans une guérite élevée de quelques pieds au-dessus du sol, un policeman qui domine la rue et la foule et fait des signaux auxquels obéissent les voitures et les piétons. J’admire les sky-scrapers, les gratte-ciel ; mais comme j’étais prévenu, ils ne m’ont pas étonné autant que je l’aurais cru. Et puis, il faudrait pouvoir s’arrêter,