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conséquent naïve, qu’il y a des gens qui sont passés maîtres dans l’art de dénaturer les faits et de nier l’évidence. »

« Pourquoi ne faites-vous rien ? pourquoi ne protestez-vous pas ? » voilà des paroles que j’ai déjà entendues plus d’une fois.


Lundi 24.

Visite le matin de M. Liébert, consul général de France. Il me parle longuement de la campagne qui est menée contre nous. Un exemple ; je le donne pour ce qu’il vaut : Dernièrement, un journal de New-York a imprimé qu’on jouait, sur une scène de Paris, une pièce tellement scandaleuse qu’une Américaine, au cours de la représentation, était sortie avec éclat, et qu’à la suite de cet incident le préfet de police avait été révoqué ! Une chose certaine, c’est que nous avons une très mauvaise presse. Pendant que nous déjeunons, au restaurant du Ritz Carlton, Chevrillon me traduit un article d’un journal où notre attitude à la Conférence de Gênes est violemment blâmée. Cependant, dans un autre journal, on prévoit que la prochaine guerre (la prochaine guerre !) sera chimique et aérienne ; que mille, deux mille avions, s’élançant du cœur de l’Allemagne, viendront survoler Paris qui, après quelques heures, ne sera plus que ruines et cendres. Je regarde tous ces gens qui déjeunent joyeusement, tranquillement... ces hommes rasés, ces femmes élégantes, au col emperlé, qui fument, tout en mangeant, des cigarettes blanches et parfumées. Évidemment, de ce côté de l’Atlantique, ces gens ne peuvent pas réagir à de telles perspectives comme nous, comme moi qui, au même moment, revois par la pensée l’entresol où nous descendions en 1918 pendant les raids de gothas et où une jeune femme dont le mari était au front tenait entre ses bras un bébé de six mois qu’elle regardait avec une admirable expression d’angoisse et de vaillance et que je n’oublierai jamais.

Après déjeuner, M. Sloane, Président de l’Académie américaine, et M. Robert Johnson viennent nous chercher pour visiter d’abord le building en construction, où l’Académie tiendra bientôt ses séances (car on construit vite à New-York et on construit beaucoup, signe de richesse : quand le bâtiment va, tout va), et dont le maréchal Foch a posé la pierre angulaire, il y a quelques semaines. Visité aussi, dans un très proche building, la collection espagnole de M. Hunthington qui très