Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelait, il y a quatre siècles, le Nouveau-Monde, un monde nouveau s’est créé dont nous sentirons de plus en plus l’influence. Je sais bien que, depuis la guerre, beaucoup, parmi nos jeunes gens français, ont compris la nécessité de sortir de chez soi, de voyager, et sont dans le train d’apprendre l’anglais. Mais cela n’est pas encore assez, et si j’avais voix consultative dans les choses de l’enseignement, je demanderais que l’étude de l’anglais fût obligatoire et approfondie dans nos lycées. Plus nous irons, et plus il se trouvera imbécile dans la vie, au sens étymologique (imbécile, qui ne s’appuie pas sur un bâton), le jeune Français commerçant, industriel et même homme de lettres qui ne saura pas l’anglais. Voilà une impression très nette que je rapporte de mon bien court séjour aux Etats-Unis.

Dîner chez M. Robert Underwood Johnson, secrétaire de l’Académie américaine des Arts et des Lettres. Diner intime, familial, sympathique. M. Johnson, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Rome, est un poète distingué. Mais, que connaissons-nous de la littérature américaine, et que connaissent-ils de la nôtre ? Et puis, dans chaque pays, tant de livres paraissent chaque jour, qu’on n’a même pas le temps de lire tous les livres intéressants qui paraissent dans son propre pays. On n’a pas le temps, voilà la caractéristique de notre temps.

Le fils de M. Johnson, qui est aussi littérateur, me rappelle que c’est lui qui a traduit le Retour de Jérusalem, lorsque, deux ou trois ans avant la guerre, Mme Simone voulut jouer cette pièce à New-York. Nous causons : il me dit qu’il y a en ce moment, aux Etats-Unis, une propagande active contre la France, et qu’on répand contre nous force mensonges et calomnies. Et il s’étonne : « Pourquoi ne faites-vous rien ? pourquoi demeurez-vous silencieux ? pourquoi ne protestez-vous pas ? » Je lui ai répondu : « Oh ! pour une raison bien simple, c’est parce que nous ne lisons pas assez les journaux américains. Et puis aussi parce que, nous autres Français, nous n’avons pas le goût de relever les erreurs et les calomnies. On chantait dans un opéra autrefois... « En mon bon droit j’ai confiance ! » Bien que cet opéra soit démodé, la France chante toujours cet air-là et, de fait, à défendre le Droit tout court, pendant cinq années, elle a perdu 1 500 000 de ses enfants, et dix de ses départements ont été envahis, saccagés, ruinés. Alors elle pense que les faits parlent d’eux-mêmes ; elle ne croit pas, car elle est idéaliste et par