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irrégulières de leur cœur ? » Elle n’en voulait rien savoir. Je lui demandais encore : « Vous venez de passer quelques jours à Paris. Avez-vous vu Aimer ? ». Elle me répondait : « Non, j’ai vu Ta Bouche. » — Je lui ai conseillé : « S’il y a à la bibliothèque du bord, quelques volumes de notre théâtre contemporain, lisez-les donc. » Elle a suivi mon conseil, elle les a lus et le dernier jour elle m’a dit : « Je comprends maintenant : les Français le disent et les Américains le font. »

A l’heure des discours, après que le doyen des auteurs dramatiques américains, M. J. I. C. Clarke, m’eut souhaité la bienvenue de la façon la plus aimable et la plus flatteuse du monde, j’ai répété aux assistants la réflexion de la dame Canadienne et cela a paru les charmer. Puis, M. Cosmo Hamilton a dit toute l’admiration qu’il avait pour les auteurs français, pour leur esprit de solidarité (ici, j’ai fait mes réserves... mentalement). Enfin, M. Augustus Thomas a pris la parole, et M. Félix Weill, secrétaire de la Fédération de l’Alliance française, a traduit pour moi, en français, le discours de M. Thomas qui se terminait ainsi : « Lorsque vous serez de retour en France, dites à vos amis que les Américains aiment toujours profondément la France ; ils ont combattu à ses côtés, et l’attitude de quelques politiciens ne change nullement leurs sentiments envers les Français. »

Je n’y manquerai pas ; je suis infiniment touché de ces affirmations ; mais, d’après ce que j’entends dire depuis que je suis ici, je doute que ces sentiments soient actuellement ceux du peuple américain tout entier ; ceux qu’ils étaient en septembre 1918, lorsqu’un de mes amis, chargé d’une mission aux Etats-Unis, m’écrivait de là-bas : « Nos alliés sont admirables ; tous me disent : Nous n’avons encore rien fait pour vous... l’argent ne compte pas... nous ferons mieux encore, nous ferons tout, et nous ne ferons jamais assez pour ceux qui se sont battus pour notre cause, c’est-à-dire pour la cause de l’humanité. »


MAURICE DONNAY.