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dernier, d’abord germaines et Scandinaves, puis slaves, hongroises, israélites, italiennes, c’est déjà une sorte de noblesse pour eux de remonter aux premiers immigrants anglais, écossais ou irlandais. J’ai répondu à cette dame : « Vous avez en quelque sorte plus de passé que moi, car j’ignore complètement ce qu’a fait mon ancêtre, au moment de la révocation de l’Edit de Nantes. »

Rentré à l’hôtel pour m’habiller. A huit heures, M. Bory Osso, représentant de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques français, vient me chercher pour me conduire à la « Society of American Dramatists and Composers, » où l’on m’offre un banquet. Assistance nombreuse, auteurs, authoress, grands directeurs ; accueil chaleureux ; mais combien je me sens étranger parmi mes confrères d’outre-mer ! Que connaissent-ils de notre théâtre et que connaissons-nous du leur ? On joue cependant beaucoup de pièces françaises à New-York ; mais on les adapte, on les modifie et, si j’ose dire, on les « chambarde » au goût américain. Car ils sont restés très puritains ; ils sont très sévères en ce qui concerne la morale sexuelle : un enfant naturel, une demoiselle enceinte, une demi-mondaine avérée, voilà des personnages qu’on doit éviter. Comiques ou pathétiques, ils aiment les péripéties, les rebondissements, un dialogue rapide qui procède par phrases brèves et, par-dessus tout, de l’action, de l’action et encore de l’action. Ils aiment un heureux dénouement et qui ne bouscule pas l’ordre social. Ils nous reprochent volontiers notre immoralité, notre complaisance à traiter les cas nombreux et divers de l’adultère ; ils constatent que la plus grande partie de notre théâtre est fondée sur ce qu’ils appellent le « triangle, » le triangle, c’est-à-dire le mari, la femme et l’amant. C’est que dans l’adultère, avec un mélange d’esprit religieux et pratique à la fois, ils ne voient que l’acte brutal. Ils ne comprennent pas, ils n’admettent pas tout le sentiment, toute la sensibilité que nous mettons autour ; ils ne voient pas tout le champ d’études psychologiques que nous y voyons. C’est ce que j’essayais de faire entendre à une dame, une Canadienne qui voyageait avec nous, en venant sur le Paris et que « le triangle » équilatéral, rectangle ou isocèle exaspérait. Je lui demandais : « Êtes-vous bien certaine qu’il n’y ait pas aux Etats-Unis des femmes mariées qui obéissent parfois aux injonctions