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vastes programmes où la mémoire remplace trop souvent l’intelligence. Nos examens, avec leur caractère encyclopédique, avec la multiplicité de leurs épreuves écrites, orales ou pratiques, avec le temps strictement limité réservé à chacune d’elles, risquent de laisser sur le carreau quelques-uns des meilleurs. Pierre Curie, travailleur lent et profond, me disait un jour qu’il n’avait jamais pu terminer une composition dans le délai réglementaire, et qu’au collège il était presque toujours classé dans les derniers.

A l’Ecole normale, Lippmann s’attacha particulièrement au sous-directeur, Bertin, savant probe et consciencieux, qui dirigeait, dans les Annales de Chimie et de Physique, la revue des travaux faits à l’étranger. Celui-ci chargea le jeune physicien, qui parlait si bien les langues vivantes, de lire et d’analyser les mémoires allemands et anglais. Ainsi, en dehors des cours réglementaires, qui ne peuvent enseigner que la science déjà faite, Lippmann s’initiait aux côtés plus vivants et plus hardis de la science qui se fait. L’électricité n’occupait encore dans les programmes qu’une place insignifiante ; tout autre était celle qu’elle avait dans l’esprit des chercheurs. Les phénomènes de la décharge oscillante, d’où devait sortir plus tard la théorie des ondulations électriques et de la télégraphie sans fil, frappèrent particulièrement Lippmann. Avec la belle audace de la jeunesse, il alla trouver le fameux constructeur Ruhmkorff, pour lui conseiller de construire une bobine d’induction à circuit magnétique fermé et d’établir une résonance entre le circuit inducteur et le circuit induit. L’idée était intéressante et témoignait de vues très en avance sur leur époque ; mais la réalisation en était difficile, la mise au point délicate. Ce n’est que bien des années plus tard, et après de longues études, qu’elle a pu être faite dans les transformateurs industriels : le constructeur hésita à se lancer dans une voie nouvelle sur les suggestions d’un débutant. Ces travaux, ces recherches personnelles étaient déjà ceux d’un maître ; ils firent un peu perdre de vue à Lippmann la préparation terre à terre des examens d’agrégation ; aussi ne réussit-il pas à ce concours.


Cependant l’attention du ministre de l’Instruction publique, qui était Jules Simon, avait été attirée sur l’originalité du jeune chercheur. De 1872 à 1875, on confia à Lippmann trois missions