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successives en Allemagne, à la fois pour y poursuivre ses travaux sur l’électricité et pour faire des rapports sur les laboratoires allemands. Il se rendit d’abord à l’Université de Heidelberg. La situation ne laissait pas d’être délicate pour un jeune Français. Avant de quitter Paris, Gabriel Lippmann crut bon de s’initier à une science que l’on n’enseignait pas à l’Ecole normale : il prit des leçons d’escrime à la rapière. Sa réserve, son tact parfait les rendirent heureusement inutiles. Les professeurs allemands de cette époque, formés avant 1870, n’étaient d’ailleurs pas encore imbus de cet esprit de pangermanisme agressif qui devint plus tard la règle dans trop d’Universités d’outre-Rhin.

J’ai vu moi-même, à Paris, à l’occasion des Congrès électriques de 1881, et j’ai eu occasion d’apprécier plus d’une fois dans les années suivantes les grands savants allemands d’alors ; citerai-je Helmholtz, physiologiste, mathématicien et physicien de génie, dont la femme garda toujours la nostalgie de la société française, ayant vécu toute sa jeunesse à Paris, dans le salon de sa parente Mme Mohl, un des lieux de réunion préférés des érudits et des lettrés durant le Second Empire ; Gustave Wiedemann, l’éditeur des célèbres Annalen der Physik, vieillard courtois et élégant, dont les manières reflétaient encore la politesse du XVIIIe siècle ; Clausius enfin, qui maintenait à Bonn l’indépendance des Universités régionales contre la suprématie envahissante de Berlin. Lippmann trouva à Heidelberg cette complète liberté d’étudier qui lui était si chère. Il y rencontra également, auprès de maîtres renommés, la bonhomie bienveillante de la vieille Allemagne. C’est ainsi qu’ayant demandé à Kirchhoff, au moment où celui-ci partait en vacances, la permission de rester au laboratoire pour y achever des expériences en cours, le vieux savant lui dit : « Les bibliothèques universitaires vont fermer ; vous ne pourriez plus vous procurer les livres nécessaires à vos recherches. Voici la clef de mon appartement et de ma bibliothèque. » Il passa, le semestre suivant, de 1874 à 1875, à l’Université de Berlin, auprès de Helmholtz, mais fut rappelé à Paris avant d’avoir achevé l’étude sur l’endosmose électrique qu’il y avait entreprise.

Comme un autre savant, Le Verrier, qui devait trouver la gloire dans un domaine bien différent, Lippmann débuta par un travail de chimie. Son premier mémoire, fait au laboratoire de Kühn, a trait aux phosphates d’albumine. Aussitôt après, il