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pas le privilège des intelligences d’élite d’entr’ouvrir devant nous les portes de l’avenir ?


Un si brillant début n’allait pas tarder à recevoir sa sanction. Lors de la création des maîtrises de Conférences en 1878, Lippmann se vit attaché à la chaire de Jamin, dans le laboratoire duquel il travaillait ; cinq ans plus tard, il remplaçait Briot comme professeur de calcul des probabilités et de physique mathématique. Dépourvue de laboratoire et de moyens de travail, cette chaire ne pouvait représenter pour lui qu’un poste d’attente, et dès 1886, il la changeait contre celle de physique générale où il succédait à Jamin.

Il prit en même temps la direction du laboratoire de recherches physiques, le premier en date des laboratoires de ce genre, créé à Paris dans l’ancienne Sorbonne, sur l’initiative du grand ministre Victor Duruy. La partie principale en était formée d’un vaste hangar vitré, que les visiteurs de cette époque ont souvent vu illuminé le soir par les nouveaux modèles de lampes à arc imaginés par Jamin. A ce hangar étaient jointes une ancienne boutique de marchand de vins, et trois chambres situées au premier étage de la maison. A côté du laboratoire de Jamin se trouvait celui de son collègue Edouard Desains, dont les principaux collaborateurs étaient alors Gouy et Pierre Curie. J’y débutai moi-même en 1884. Il était installé dans deux anciens, hôtels meublés de la rue Saint-Jacques, sans communication directe de l’un avec l’autre, en sorte que, pour passer du grenier du premier à celui du second, on devait commencer par gagner la cour en descendant les spirales d’un sordide escalier en colimaçon. Les pièces étaient petites et à peine éclairées par des puits d’air lépreux. Quels souvenirs avaient bien pu garder ces murs de leurs hôtes d’antan ? C’est dans ces salles carrelées au milieu de ces plâtras noircis, que j’ai vécu bien des heures inoubliables de ma jeunesse.

Les cours publics de Lippmann étaient attachants. Quand je l’entendis pour la première fois, j’en reçus une impression profonde. Ses qualités dominantes étaient la simplicité et la clarté. Aujourd’hui encore, il m’arrive de relire son cours de cette époque sur les phénomènes capillaires qui n’a jamais été publié. Vingt-cinq ans plus tard, il me fut donné d’assister