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une fois encore à une de ses leçons inaugurales. Le sujet en était classique entre tous : il s’agissait de la gravitation universelle. J’y retrouvai ce je ne sais quoi, qui n’appartenait qu’à lui, et où brillait la flamme du génie de mon vieux maître. Au milieu d’un exposé tout uni jaillissait un mot imprévu, bref éclair qui illuminait les parties obscures du sujet. Frappé de la nouveauté de quelques-uns de ses aperçus qui, pour « quelqu’un de la partie, » révélaient des réflexions intenses et prolongées, je lui demandai pourquoi il ne les développait pas davantage. « Vous ouvrez une porte, puis vous la fermez, » lui dis-je. Et je vis que sa réserve tenait à un scrupule délicat. Chargé de préparer des étudiants à un examen, Lippmann, à l’inverse de bien des professeurs qui n’ont nulle hésitation à s’arrêter au beau milieu du programme, ne se reconnaissait le droit de rien négliger. Parfois il regrettait de n’avoir pas la même liberté qu’au Collège de France dont les professeurs choisissent le sujet de leur enseignement. Pourtant, l’an passé, à la veille de prendre sa retraite, il avait consenti à faire son dernier cours en suivant le développement de ses idées propres. Quel n’eût pas été le puissant intérêt de cette sorte de testament scientifique d’une si lumineuse intelligence ! « Eh bien, soit ! ce sera pour demain, » dit-il en souriant. Mais quel homme a jamais pu se flatter de prononcer avec assurance le mot» Demain ? » Demain, roi du pays des morts...

Au laboratoire rudimentaire dans lequel il débuta, Lippmann en substitua plus tard un autre plus digne de lui. La Sorbonne fut reconstruite sur les plans d’un architecte jeune encore, mais d’un rare mérite, M. Nénot, qui se concerta avec les professeurs, pour les doter d’installations modernes, conçues selon leurs idées propres. C’est ainsi que furent aménagés les locaux actuels du laboratoire de recherches physiques ; le grand hall du rez-de-chaussée, les ateliers, la salle des machines, les galeries et les pièces du premier étage, constituent un ensemble magnifique. Cependant, dans son nouveau laboratoire, Lippmann ne songeait pas sans quelque obscur regret au modeste appentis où il avait travaillé vingt ans.

Dans l’aménagement de ces laboratoires on trouve le reflet de certaines préoccupations particulières à l’époque où ils furent construits. Les physiciens étaient encore sous l’impression des mémorables recherches par lesquelles le plus brillant des élèves de Helmholtz, Henri Hertz, — mort à quarante ans