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Lippmann, ne pourrait obtenir par la méthode visuelle ce que donne la méthode photographique. Il faudrait pouvoir installer à la lunette un observateur idéal, doué d’une rétine tellement sensible qu’il verrait des étoiles d’un ordre de grandeur élevé, et capable en outre de noter en quelques minutes plusieurs centaines de passages, sans erreur et sans confusion. »

Malheureusement, les dimensions et les prix des grands appareils astronomiques sont tels que bien peu de nos observatoires français peuvent les acquérir. Ni le Parlement, ni les particuliers ne s’y intéressent vraiment. La sensibilité latine ne s’émeut guère que devant les grands fléaux : la rage, la diphtérie, le cancer. Bien rares sont ceux de nos concitoyens qu’on trouve disposés à mettre la main à la poche devant Uranie et son compas. Plus rudes, les habitants du Nouveau Monde sont aussi d’un idéalisme plus abstrait : on n’y compte plus les observatoires richement dotés par l’État ou par les individus. Au cours de son dernier voyage, Lippmann eut l’heureuse surprise d’y retrouver ces magnifiques instruments, fils de son cerveau. Il est vrai qu’il constata que les astronomes américains en ignoraient l’auteur. Mais, détaché de toute vanité personnelle, il tenait qu’il n’est pas de plus belle récompense pour le savant que d’avoir enrichi le patrimoine commun de l’humanité.


De tels travaux, s’ils assuraient sur d’inébranlables fondements la réputation de Lippmann dans le monde savant, n’eussent pas suffi à rendre son nom presque populaire. Pour le faire sortir du cercle des Académies, il fallut sa sensationnelle découverte de la photographie des couleurs.

Un savant assez caustique du siècle dernier avait proposé de distinguer les « découvertes » et les {{trouvailles. » Il est d’heureux physiciens qui furent trouvés par les phénomènes auxquels leur nom est resté attaché plutôt qu’ils ne les trouvèrent. Il serait injuste d’ailleurs de leur dénier tout mérite : le hasard ne parle qu’à ceux qui savent l’entendre. La photographie des couleurs est au contraire le modèle d’une vraie découverte. La théorie permit à Lippmann de prévoir le succès et de fixer toutes les conditions de la réussite. Mais il lui fallut des années d’efforts pour arrivera une réalisation expérimentale pleinement satisfaisante.