Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’utilité de ces méthodes trop compliquées et d’une : manipulation presque impossible.

Bien que son style scientifique soit d’une grande pureté, il n’aimait pas à écrire. En dehors de sa thèse, il n’a pas rédigé un seul mémoire de longue étendue. Ses cours seraient perdus, si ses élèves n’avaient pas pris soin de les recueillir. La plupart de ses travaux consistent en brèves notes à l’Académie des Sciences : l’exposé original de sa mémorable découverte de la photographie des couleurs occupe à peine deux pages des Comptes-Rendus. Cependant cette recherche lui avait coûté des années d’efforts. Il ne reste dans sa rédaction aucune trace des difficultés qu’il avait dû surmonter. On a regretté maintes fois qu’il n’ait jamais trouvé le loisir d’écrire une mémoire détaillé, où les expérimentateurs eussent puisé de précieuses leçons. Comme les grands architectes, il avait la coquetterie de faire disparaître les échafaudages. Mais la limpide clarté de sa rédaction est trompeuse ; elle donne l’illusion que tout ce qu’il a trouvé était facile et simple.


En Lippmann, l’homme n’était pas moins remarquable que le savant. Ce qui frappait d’abord en lui, c’était son extrême distinction. Il était ménager de son temps et n’aimait pas les importuns, mais il accueillait ses visiteurs avec une parfaite courtoisie. Il s’attachait à mesurer la portée de ses paroles, et ne se laissait jamais entraîner à des approbations qui eussent dépassé sa pensée. Son laboratoire était pour lui une grande famille. Si, par principe, il laissait à ses élèves une large initiative, cependant jamais un conseil ne lui fut demandé en vain ; ses réponses, fruits d’une longue maîtrise, renfermaient presque toujours des idées nouvelles, des aperçus imprévus. Dans la conversation journalière il avait beaucoup d’humour il savait donner un relief aux moindres détails. Certains de ses jugements revêtaient parfois un tour un peu paradoxal, car, dans son désir de concision il lui arrivait de résumer son opinion en une phrase brève que l’on ne comprenait bien qu’à la réflexion. Il apportait dans sa vie la sobriété et la réserve qui sont caractéristiques de son œuvre scientifique. Il se livrait très peu, et bien rares furent, même parmi ses camarades et ses collaborateurs, ceux qui purent se flatter de l’avoir vraiment