donnait sans compter « la puissance de sa pensée. » Ce fut vraiment, comme on l’a dit, un « excitateur d’idées. » Baudelaire, que Montégut présenta à la Revue, se forma dans son rayonnement, qui le sait ? « Combien d’autres, après Baudelaire ! » s’écrie Eugène-Melchior de Vogüé, qui, lui du moins, ne fut pas un ingrat.
Ce dernier a raconté même comment « aux dîners de Buloz, quelques chroniqueurs de sa connaissance, dont lui, exploitaient savamment l’inépuisable mine : ils laissaient leur commensal en paix durant le premier service[1], puis, l’un d’eux, subrepticement, lançait comme un brandon choisi. Lors Montégut prenait feu… »[2] et les auditeurs prenaient des notes.
Malgré ces dons magnifiques, Émile Montégut, sensible et réservé, vécut méconnu, mourut oublié. Dans la remarquable étude qu’il vient de lui consacrer, son biographe, M. Laborde Milaà écrit : « Il a la pudeur des sentiments intimes, de la fierté mêlée à de la timidité, et une sorte d’incapacité de se faire valoir, bien qu’étant parfaitement conscient de sa valeur. »[3] Voilà la note juste.
Comment l’Académie française négligea-t-elle un pareil écrivain ? Hélas ! les modestes se laissent oublier. D’ailleurs sollicité, intriguer ne fut pas le fait de ce laborieux. Aussi, lorsqu’en décembre 1895, Émile Montégut mourut, il disparut tout entier ; il s’en alla sans faveur, sans fortune, sans gloire, et sa mort, — sauf pour quelques amis, — fut anonyme.
D’aucuns ont cru expliquer la « faillite de cette renommée » en indiquant que l’écrivain, faisant partie de « la milice de la Revue des Deux Mondes, perdit, dans cette discipline, l’ambition de toute conquête personnelle » (sous la férule du terrible François Buloz s’entend). Le raisonnement pêche par la base : le fondateur de la Revue n’excita-t-il pas au contraire, constamment, l’ambition de ses collaborateurs ? Où donc sont les grands écrivains que la Revue a étouffés après les avoir, au début, servis ? Serait-ce George Sand ou Musset, La Mennais ou Sainte-Beuve, Augustin Thierry, Quinet, Renan ? Non, si notre critique n’a