Nous n’entendons rien dire sur vous. L’avez-vous fait, avec des restrictions ou sans restrictions ? Etes-vous tranquille ou ne l’êtes-vous pas ? C’est le sujet de nos soucis et de nos inquiétudes. » Voilà un père inquiet, qui ne nous dit pas s’il est pour ou contre le serment.
En voici un autre, en Saône-et-Loire, qui est nettement pour. Il avait à sa table son fils. Il lui dit : « Tu prêteras serment, j’espère ; tu ne feras pas comme tant de tes confrères qui refusent. — Mon père, je ne peux pas, j’agirais contre ma conscience. — J’ai consulté un tel, professeur de théologie, qui m’a répondu : On le peut prêter. — Moi aussi, j’ai consulté mes professeurs... Ils m’ont répondu : Gardez-vous en bien ! — Décidément, tu ne veux pas. — Décidément. — Eh bien ! sors de chez moi. Je ne veux pas garder un rebelle aux lois. » A Paris, le curé de la Madeleine-la-Ville-l’Évêque, Le Ber, a été l’objet des sollicitations les plus instantes de sa famille et de ses fabriciens. Un de ses confrères, partisan du serment, le conjure à genoux de le prêter, ajoutant « qu’il le prenait sur sa conscience. » Le Ber juge avec la sienne et refuse le serment.
Un document de l’époque, les Mémoires de l’abbé Traizet, curé dans l’Aisne, apportent un frappant exemple de la pression des familles. Il raconte comment son frère, accompagné de son neveu et d’un notaire, fit irruption chez lui pour le déterminer à jurer. Le syndic du district était de connivence, et avait envoyé, pour convertir Traizet, une collection de lettres pastorales rédigées par les évêques constitutionnels. Elles n’ébranlent en rien sa conviction. Nouvel assaut des parents, qui reviennent flanqués de sa belle-sœur. Mon frère, dit Traizet, « ne voyait pas les choses comme moi ; il se disait assez ouvertement l’ami de la Révolution, séduit qu’il était par quelques bourgeois du voisinage... Cette entrevue me fit beaucoup de mal, et je me vis obligé de mettre fin à leurs instances, en leur disant que ma manière de penser était à moi. » La famille se retira irritée, et fit dire à l’abbé que toute relation était rompue, qu’il s’abstint de paraître chez elle. Traizet avait déjà pris cette détermination, son neveu s’étant permis de lui manquer grossièrement en pleine table. Il décrit l’obsession dont il est l’objet, son énervement devant le flot de visiteurs et de conseillers, qui chaque jour sonnent à sa porte, l’invasion de son église, où l’on s’est permis de faire une lecture impie, qu’il a dû flétrir à haute voix.