Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 10.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES MARÉCHAUX
À LA LÉGION D’HONNEUR

I
AVANT TURENNE

Dans ses Mémoires, qui ont déjà diverti plusieurs générations et fourni des traits à tant de conteurs, Mme d’Abrantès dépeint ceci. Un soir de 15 août, Napoléon a voulu voir de près la foule ; il est sorti des Tuileries en redingote bourgeoise et chapeau rond, méconnaissable, comme Haroun al Raschid, circulant parmi son peuple pour avoir l’oreille plus près de son cœur ; accompagné de son fidèle Duroc, il est monté sur la « Terrasse de l’Eau, » et, après avoir jeté un coup d’œil aux illuminations du palais, il s’est accoudé au parapet, et regarde la Seine. Quelque chose brille de l’autre côté du fleuve : c’est l’étoile de la Légion d’honneur, figurée au sommet de l’hôtel de Salm. L’Empereur la voit, la fait remarquer à Duroc et alors, fouillant du regard l’ombre des massifs que formaient les bosquets entourant alors les quelques hôtels égrenés sur la rue de Lille, ancienne rue de Bourbon, le voilà qui nomme ceux de ses braves qui sont allés habiter de ce côté de Paris, non loin du palais : « Ney qui vient d’acheter l’hôtel de Besenval, mon fils Eugène, et puis Mortier, Bessières... et Berthier qui était là aussi lui, il n’y a pas deux ans... » Et il reste un moment, raconta le témoin, « absorbé dans une sorte de contemplation. » Peut-être était-ce bien ces héros, alors dans tout l’éclat de leur jeunesse et la fraîcheur de leur enthousiasme, qui défilaient