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devant sa pensée. Enfin, il se réveille et dit : C’est bien la place qu’ils doivent occuper : près de l’Honneur.

Je ne sais si les organisateurs de l’exposition actuelle des portraits et souvenirs des maréchaux de France ont pensé à cet épisode en allant les suspendre, rue de Lille, aux murs du palais de la Légion d’honneur. Mais ce lieu s’imposait : on ne pouvait la concevoir ailleurs. Le cadre, d’abord, est charmant, de ce style sobre, aimable, digne et mesuré qu’on ne trouve qu’en France. Mais ce ne sont pas ses mérites esthétiques seulement qui le désignaient. Un autre palais, tout aussi beau, n’eût été qu’un cadre : celui-ci est un lien, le seul assez fort pour unir en un solide faisceau toutes les gloires anciennes entre elles et toutes ensemble à la France actuelle : l’amour-propre national. A la vérité, pour présenter des choses d’art, ce n’est pas le lieu idéal. Les salles sont petites pour tant d’objets et on a dû les entasser, plusieurs sont obscures et on a dû les éclairer. Elles ne se succèdent pas dans un ordre préétabli pour cela, et les époques chevauchent un peu les unes sur les autres. Qu’importe ! Ces choses vivent, parce qu’elles ont retrouvé, un instant, l’humus historique et sentimental qui convient à des plantes de cette sorte, aux racines profondes, tandis qu’elles nous feraient l’effet de mornes spécimens de produits exotiques, si elles étaient rangées dans quelque hall d’exposition universelle, bâti pour leur présentation, sous une lumière crue, avec le dénuement d’un laboratoire à disséquer le passé. Laissons aux pédants d’outre-Rhin la vanité des musées ou des « salons rationnels, » conçus comme des salles d’opérations, et aux peuples nouveau-nés l’orgueil des halls gigantesques recouvrant un joyau, et gardons pour nos œuvres d’art ces chambres de palais incommodes, sombres, trop chargées d’alluvions historiques, trop pleines d’ombres séculaires, qu’ils méprisent, — et nous envient.

L’idée même de cette apothéose des maréchaux est, avouons-le, un signe de notre amour-propre national. Qui aurait songé à la faire au lendemain de la guerre de 1870-1871 ? On l’aurait pu : les reliques ici rassemblées étaient déjà dans les familles ou les musées. On l’aurait dû, peut-être. « Tenez ! parlez-nous de l’Empereur, cela nous fera du bien ! » ce cri du romantique parmi « les affaissements et les abandons » qu’on reprochait, d’ailleurs sans grande justice, au règne de Louis-Philippe, il nous semble qu’il eût été naturel de le redire aux jours sombres