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de la défaite. Et l’on avait aussi bien qu’aujourd’hui le goût des rétrospectives et la science des évocations. Trois ans après le traité de Francfort, au printemps de 1874, les amateurs d’Art qui longeaient les quais de la Seine, entre les verdures nouvelles des jardins et les ruines calcinées des Tuileries et de la Cour des comptes, trouvaient autant de rétrospectives à visiter qu’aujourd’hui, — trois ans après le traité de Versailles, — et c’étaient presque les mêmes. Il y avait alors une exposition Prud’hon, à l’École des Beaux-Arts, comme aujourd’hui au Petit Palais et l’on y voyait à peu près les mêmes choses. Il y avait une exposition Baudry, comme aujourd’hui. Il y avait enfin, comme aujourd’hui, sur ce même quai, à quelques pas de la Légion d’honneur, dans les salons du Palais-Bourbon, alors vide de députés, une exposition d’œuvres fameuses d’artistes anciens et dans un dessein patriotique aussi : au profit des Alsaciens-Lorrains, demeurés Français, organisée par le comte d’Haussonville. Elle devait durer six mois. A sa clôture, Fromentin écrivait : « Les Alsaciens sont fermés. J’en suis fâché et cela m’a rendu triste. C’était joli : pas de foule, du silence, des arbres à côté des salons, un ensemble d’œuvres choisies, faciles à voir, c’était charmant... «Sauf la foule qui ne manque pas à la Légion d’honneur, il semble bien que Fromentin nous décrive, là quarante-huit ans à l’avance, l’exposition des maréchaux organisée par M. le duc de Trévise au profit de l’œuvre qu’il a entreprise : la Sauvegarde de l’Art français. Le présent ressemble ainsi, à s’y méprendre, au passé : on croit respirer le même air.

Pourtant, nul alors n’aurait songé à une apothéose de maréchaux. Et si quelqu’un y avait songé, nul ne l’aurait suivi. Heureux s’il n’eût pas soulevé des protestations, bien que les Alsaciens-Lorrains eussent été inaugurés précisément par un maréchal unanimement respecté. Aujourd’hui, on trouve cette apothéose toute naturelle et comme nécessaire pour fêter le retour en France de la dignité longtemps abolie. Que manquait-il donc à nos prédécesseurs pour faire cette manifestation ? Il manquait la victoire. C’est elle qui, en éveillant notre gratitude pour les nouveaux chefs, a ramené notre attention et notre sympathie sur les anciens. Ne soyons pas surpris de cette idée extrême-orientale de faire remonter aux ancêtres les honneurs qu’on décerne à ceux qui ont bien mérité de la patrie. Nous ne faisons pas autre chose. Il l’avait déjà fait, le premier