Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La veille, au crépuscule, nous avions longé, entre la mer et le maquis, des sables tout fleuris de lis blancs. Et nous sommes entrés dans la Mysakja, une plaine immense, qui, de la baie de Durazzo aux lagunes de Valona, s’enfonce à l’intérieur comme un vaste triangle dont le sommet s’effile entre les montagnes.

Traversée au Nord par les méandres gris du Shkumbi qui sépare l’Albanie tosque de l’Albanie guègne, au Sud par la Semeni, empoisonnée de moustiques et de malaria, ancien lit de la mer qui s’est retirée d’elle, la Mysakja est une des régions les plus fertiles du monde. Cependant, on a l’impression d’un désert en franchissant ces étendues incultes, livrées aux troupeaux, et où les plantes steppiques succèdent à celles des eaux stagnantes. Rares sont les villages le long des ondulations qui la bordent, et les habitants, affaiblis par la fièvre, ne peuvent tirer parti de leur sol prodigieux qu’il faudrait drainer, afin de l’assainir.

Trois bourgades, appartenant à des périodes différentes de l’histoire, dominent les trois angles : Lushnja, la cité byzantine de Bérat, et Fieri, au Sud, toute proche de l’emplacement d’une ancienne ville grecque, l’intellectuelle et florissante Apollonia, où, seul, vit aujourd’hui un pauvre monastère, que les Autrichiens ont dépouillé des pierres sculptées et couvertes d’inscriptions, encastrées dans ses murs.

Lushnja, au flanc d’une colline, regarde l’immensité plate, lumineuse, et tout enveloppée du ciel qui semble apparaître encore par les déchirures bleues des lagunes. Les maisons, avec leurs jardins de figuiers et d’amandiers, sont comme plaquées sur la pente ; autour d’elles, la colline déroule ses plis arides.

Des notables à cheval sont descendus à notre rencontre, très beaux dans leurs vêtements blancs aux ceintures éclatantes, et portant le fusil sur le genou, selon la coutume albanaise, prêt à tirer. Ils escortent la voiture. D’autres, le long du chemin, saluent. Et là-bas, c’est toute la population du bourg qui attend, immobile, avec les écoliers alignés, des fleurs, des drapeaux.

Lushnja, solitaire et ramassée sur sa colline, ressasse un grand souvenir. Ce fut elle qui vit se fonder définitivement l’autonomie albanaise.

Au début de 1920, soixante-huit délégués de toutes les parties