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les ressauts successifs ; on traverse à gué la rivière et l’on grimpe des âpres flancs. Les murs ruinés de Scanderbeg, tout au sommet, surveillent cette ascension.

Il faut, pour les atteindre, dépasser une mosquée solitaire. De l’autre côté, au delà du dernier mur d’enceinte, quelques maisons aux ouvertures grillées contiennent les tombeaux des généraux tures : les dépouilles de l’ennemi sont ainsi disposées au pied de la forteresse.

Elle semble, avec les siècles, s’être incorporée à la roche qui la soutient, comme si la forteresse humaine devenait l’achèvement logique de la citadelle naturelle. La même patine les dore. Et les iris sauvages habitent les creux du rocher et les fentes de la muraille.

Le premier exploit de Scanderbeg, revenu dans sa ville natale, fut de conquérir Petrella qui commande deux vallées : la vaste plaine de Tirana s’offre, verte et bleue, déroulée entre les montagnes. Les collines, vues d’en haut, semblent s’aplatir, la chaîne des Daïtit s’éloigne en s’abaissant, coupée en une série de massifs lourds réunis par des cols. A nos pieds, la rivière divague, repliée en courbes nombreuses. Et l’air est si pur qu’on distingue les minarets de Tirana comme des fils de lumière au milieu de la plaine bleue.

Le versant oriental domine un dédale de chaînes de plus en plus confuses à l’horizon. Elles s’avancent les unes derrière les autres comme une série d’ouvrages de défense, une suite d’obstacles dressés successivement. On dirait des ébauches de montagnes recommencées à l’infini.

Les yeux cherchent en vain à découvrir un ordre au milieu de cette incohérence. Et voici que l’ordre se révèle dans cette incohérence même : les montagnes d’Albanie sont autant de barrières posées devant les invasions, imprenables bastions qui enseignèrent aux hommes la résistance. Les Albanais ont bien reconnu l’expression même de leur sol et de leur âme en Scanderbeg dont toute la vie fut une résistance victorieuse.


UNE BOURGADE HISTORIQUE, LUSHNJA

Cette volonté de résistance, cette certitude de vivre et de durer, combien profondément nous l’avons ressentie dans le bourg de Lushnja !