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été amère quand j’ai dû faire mes adieux à mon E. M. A. 3 que j’avais façonné à ma mesure, depuis trois ans, mais, à ce moment, toute issue paraissait bouchée, pour la 3e armée, et tout me semblait préférable à la mortelle inaction de Montmort. Je partis donc assez consolé pour Lure. Pendant les huit jours de mon séjour là-bas, que de belles courses j’ai faites, par un temps merveilleux ! Ce pays est vraiment séduisant.

Quant à l’état-major, j’y ai trouvé des hommes remarquables et connaissant admirablement leur affaire. Les lésineries, les lenteurs, les exigences que l’on subit sur ce front ne sont pas de leur faute : la pénurie des moyens leur impose une manière dont ils sont les premiers désolés. Pourtant, il y aurait quelque chose à faire et j’aurais essayé d’améliorer la situation...

... Le coup de téléphone qui m’a ramené à ma maison a donc été le bienvenu. Et maintenant, je suis à la place de Mangin et j’attaque demain.

A quoi rime cette substitution ? Mangin, comme on le dit officiellement, va-t-il exécuter ailleurs une attaque capitale ?... Mystère. Pour moi, je suis à la bataille, peut-être à la dernière bataille, c’est l’essentiel...


6 novembre 1918.

... Le Boche est en pleine retraite ; il s’en va si vite qu’il n’y a pour ainsi dire aucun plaisir à le poursuivre. Tout semble faire croire qu’il ne s’exposera plus dans une bataille ; d’aucuns se prétendant bien informés avancent que déjà les conditions de l’armistice sont acceptées par deux diplomates boches camouflés qui seraient à Versailles...


9 novembre 1918.

... C’est la fin ; je crains fortement que le temps manque pour finir la guerre par un coup de tonnerre. Enfin, en attendant, nous refoulons des arrière-gardes et délivrons des civils exultant de bonheur.

Le général de Lagarenne m’a envoyé pour toi un touchant mémento du pauvre François [1] Quelle tristesse pour d’aucuns de ne pouvoir se réjouir, sans mélange d’amertume, de la glorieuse victoire qui consacrera la revanche !

  1. Capitaine François de Lagarenne. officier d’ordonnance du général en 1916 et 1917, capitaine au 3e hussard», glorieusement tombé à la tête de son escadron le 29 avril 1918.