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A propos de cette dernière affirmation si catégorique de Poincaré, on me permettra de remarquer qu’il y a au moins un moyen (il y en a peut-être d’autres différents) de concilier l’agnosticisme poincariste avec la possibilité au moins théorique de constater que la terre tourne réellement : c’est de supposer que la terre et toutes les étoiles visibles, tout notre univers sensible est contenu dans une bulle d’éther isolée et qui est elle-même mobile dans ce quelque chose d’inaccessible que serait l’espace absolu. En ce cas, on peut très bien concevoir qu’on puisse savoir que hi terre tourne par rapport à l’éther de notre univers, sans que cela signifie qu’elle tourne par rapport à cet espace absolu. Cet éther de notre univers, même supposé formant un bloc, ne serait lui-même qu’un milieu en mouvement inconnu par rapport à l’espace absolu ; il constituerait un espace privilégié, l’espace particulier de notre univers limité. Il suffirait alors de remplacer dans les énonces de Newton et de la mécanique classique le mot absolu par le mot privilégié pour que tombât l’objection philosophique et agnostique de Poincaré.

Quoiqu’il en soit, celui-ci a terminé sa discussion si profonde et subtile de la question par la phrase aujourd’hui célèbre : « Dès lors cette affirmation : « la terre tourne, » n’a aucun sens, puisque aucune expérience ne permettra de la vérifier ; puisqu’une telle expérience, non seulement ne pourrait être ni réalisée, ni même rêvée par le Jules Verne le plus hardi. Ou plutôt ces deux propositions : « la terre tourne, » et : « Il est plus commode de supposer que la terre tourne, » ont un seul et même sens ; il n’y a rien de plus dans l’une que dans l’autre. »

On se souvient des polémiques de presse qui s’ensuivirent et où la compétence, sinon la bonne foi, brillèrent quelque peu par leur absence. Poincaré crut de son devoir ultérieurement de revenir sur ce sujet et de se défendre d’avoir voulu réhabiliter le moins du monde le système de Ptolémée et justifier si peu que ce fût la condamnation de Galilée.

« Non, s’écriait-il, il n’y a pas d’espace absolu ; ces deux propositions contradictoires : « la Terre tourne » et « la Terre ne tourne pas » ne sont donc pas cinématiquement plus vraies l’une que l’autre. Affirmer l’une en niant l’autre, au sens cinématique, ce serait admettre l’existence de l’espace absolu.

« Mais... voilà le mouvement diurne apparent des étoiles et 

le mouvement diurne des autres corps célestes et, d’autre part,