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La gloire d’Einstein est précisément d’avoir répondu à la double question posée par Poincaré et d’avoir montré que cette dernière affirmation (celle que j’ai soulignée) de l’illustre géomètre-philosophe cesse d’être exacte lorsqu’au lieu de considérer, dans les événements de l’univers, séparément le temps et l’espace, on considère ce conglomérat des deux qui est l’« intervalle, » tel que je l’ai défini naguère ici même. En résolvant d’une manière géniale la première des questions posées ci-dessus par Poincaré, en faisant rentrer le mouvement varié dans le principe de relativité (ce qui fut possible par l’assimilation géniale de l’accélération à un champ de gravitation), Einstein a, comme je l’ai montré ailleurs [1], fait rentrer la gravitation dans la mécanique et obtenu les découvertes merveilleuses que l’on sait. Quant à la seconde partie de la question posée par Poincaré, quant à la rotation, nous nous proposons précisément de montrer aujourd’hui comment Einstein l’a fait, elle aussi, passer docilement sous le joug du principe de relativité.

Quoi qu’il en soit, sans résoudre la question, sans prévoir même comment on pourra la résoudre, Poincaré, avec son intuition admirable, a bien senti que ce pourrait être en dehors du cadre rigide du mouvement absolu de Newton. On connaît (et je viens de la rappeler) son hypothèse ingénieuse des savants opérant sur une planète séparée de la vue des autres astres par une épaisse couche de nuages. Tout le monde a lu ces pages où Poincaré imagine ces savants construisant une mécanique de plus en plus compliquée pour rendre compte des phénomènes étranges qu’ils constatent peu à peu : renflement équatorial de leur planète, giration des cyclones toujours dans le même sens, déviation du pendule, etc. Accumulation d’hypothèses et de complications qui font de leur science un édifice de plus en plus embrouillé jusqu’au jour où parait un Copernic qui s’écrie : « Il est bien plus simple de supposer que la terre tourne ; il est plus commode de supposer que la terre tourne, parce qu’on exprime ainsi les lois de la mécanique dans un langage bien plus simple. » « Cela n’empêche pas, ajoute Poincaré, que l’espace absolu, c’est-à-dire le repère absolu auquel il faudrait rapporter la terre pour savoir si réellement elle tourne, n’a aucune existence objective. »

  1. Einstein et l’Univers, chap. V et VI.