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Dans l’hypothèse où la table existe à Versailles la même qu’à Paris, elle doit donc produire sur les mêmes hommes des impressions identiques. Comme nous vérifions qu’il en est ainsi, nous en concluons que l’hypothèse est vraie, que la table existe à Versailles. Or, ajoute M. Painlevé, c’est le même principe de causalité qui conduit à admettre le mouvement absolu de la terre. En un mot, le même principe qui nous fait affirmer l’existence de la terre nous fait affirmer sa rotation absolue. La rotation absolue de la terre présente à peu près la même certitude, ou plus exactement rentre dans le même ordre de certitudes que l’existence même de la terre. Et M. Painlevé conclut : sous une forme qui n’a de paradoxale que l’apparence, si c’est une convention de dire que la terre tourne, c’est également une convention de dire quelle existe et ces deux conventions se justifient par des raisons identiques.

Telle est la position de M. Painlevé, position qu’il avait prise dès 1904, alors qu’il développait déjà la plupart de ces idées devant la Société de philosophie. On voit qu’aux raisons expérimentales données par Newton pour justifier sa croyance à l’espace absolu elle ajoute d’ingénieuses raisons de principe.

A l’époque où, pour la première fois, M. Painlevé exposa ces idées, la réponse n’était pas encore parue que fit Henri Poincaré à ceux qui croyaient avoir trouvé chez lui la justification de la condamnation de Galilée.

Or, en un endroit de cette réponse qui, je le répète, n’a pas paru très convaincante à tout le monde, Poincaré, très ennuyé d’avoir vu la polémique solliciter son texte pour des fins étrangères à la science, s’exprime en ces termes : « ... Cette vérité, la terre tourne, se trouvait mise par moi sur le même pied que le postulatum d’Euclide, par exemple ; était-ce là la rejeter ? Mais il y a mieux : dans le même langage on dira très bien : ces deux propositions, le monde extérieur existe, ou, il est plus commode de supposer qu’il existe, ont un seul et même sens. Ainsi, l’hypothèse de la rotation de la terre conserverait le même degré de certitude que l’existence même des objets extérieurs. »

On voit que c’est là l’argumentation, l’affirmation même de M. Painlevé, et il est piquant de voir le plus impénitent des « relativistes » avant la lettre réduit à employer, pour se défendre contre des attaques ridicules, le langage même du plus déterminé des « absolutistes. »