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qu’une certaine quantité de bois sec, si on l’allume, fait bouillir une certaine quantité d’eau) non seulement se produit toujours dans le même ordre, mais avec la même durée. C’est dans les phénomènes non mécaniques (feu, bruit, lumière, etc.) que ce principe s’est surtout manifesté avec évidence, bien que ce soit en mécanique seulement qu’il ait pris pour la première fois une forme vraiment précise.

La raison de ce paradoxe, selon M. Painlevé, c’est que, de tous les phénomènes, ceux du mouvement se prêtaient le mieux à une étude quantitative, à des mensurations et observations précises. La mécanique devait donc être la première science expérimentale et quantitative que fonderaient les hommes ; mais jamais ils ne l’eussent fondée, s’ils n’avaient emprunté d’abord à leur connaissance générale du monde extérieur le principe vulgaire de causalité (mêmes causes, mêmes effets), lequel n’apparaissait pas de prime abord dans les phénomènes du mouvement.

Il suit de là conclut M. Painlevé, que, pour être vraiment juste, profonde et philosophique, une critique des principes de la mécanique devrait être précédée d’une critique générale des fondements de notre connaissance. Comment percevons-nous le monde extérieur ? Comment le moi s’oppose-t-il au non-moi ? Pourquoi affirme-t-il si énergiquement l’existence objective du monde extérieur ? Ce sont autant de questions qui sont liées indissolublement aux principes de toute science. Une analyse complète de ce mécanisme psychologique constaterait, dans l’opinion de M. Painlevé, que la notion d’espace et la notion du mouvement absolu sont inséparables : elle constaterait, assure-t-il, que les raisons qui nous font croire à l’existence du monde extérieur et des autres hommes sont exactement les mêmes que celles qui nous font croire au mouvement absolu.

M. Painlevé précise ainsi son idée : Pourquoi pensons-nous qu’une table qu’on transporte de Paris à Versailles existe encore à Versailles ? Parce que, à Versailles comme à Paris, elle produit sur nous les mêmes sensations.

C’est là une application du principe de causalité vulgaire, du principe qui affirme que l’espace et le temps ne sauraient être des causes efficientes. D’après ce principe, si, à deux instants différents, les mêmes circonstances sont réalisées à Versailles et à Paris (et bien que la circonstance « temps » et la circonstance « espace » aient varié), les mêmes phénomènes se produiront.