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ils sont venus en grand mystère, en mémoire du Flying Dutch on les a baptises Hollandais.

Les dégénérés que sont les marins de l’Elsinore sont naturellement portés à la cruauté. Ayant capturé deux jeunes requins, ils se distraient à les éviscérer tout vivants. Après l’horrible opération, l’une des bêtes agonise encore. Les marins, par plaisanterie, mettent son cœur entre les mains de Pathurst, qui s’était détourné du spectacle ignoble. Pathurst bondit de dégoût et laisse tomber ce cœur ; puis, se dominant, il le reprend pour le jeter à la mer. Mais, nerveux, il ne réussit qu’à l’envoyer sur le pont, où il reste dans un coin. Or ce cœur de bête bat ; Pathurst n’a plus le courage d’y toucher, mais il ne cesse de le regarder ; le muscle, remonté comme un mouvement d’horlogerie, continue son spasme rythmé. Pendant ce temps, les hommes rejettent à la mer le requin éventré, chez lequel un reste de vie persiste. La bête tente faiblement de plonger, mais remonte malgré elle à la surface, où d’autres requins l’aperçoivent, et, se précipitant sur cette proie, la dévorent. Le cœur poisseux, contre le bastingage du bateau, bat toujours, de son absurde pulsation.

Edgar Poë eût été curieux de ces affreux mystères. Ailleurs, London a conté d’autres épisodes voisins du cauchemar, les batailles secrètes de l’homme et des loups dans le Wild du Nord, où ce n’est pas toujours l’homme qui est le vainqueur. White Fang s’ouvre par un de ces combats ; c’est un autre qui fait tout le sujet de l’Amour de la Vie [1]. Un homme était perdu dans les neiges du Klondyke. Son compagnon, qui portait les vivres, s’était séparé de lui : ils n’avaient pu se retrouver. Celui-ci ne possède que des allumettes : il se nourrit d’eau chaude, mais il meurt graduellement d’épuisement, et sa faiblesse devient en quelques jours extrême. Il ne voit point de chemin et marche à l’aventure devant lui. Un loup se met alors à le suivre et à le guetter. Mais ce loup est aussi affamé et aussi faible que lui. Une mourante rivalité s’établit entre eux. Bientôt l’homme ne peut plus marcher qu’à quatre pattes, comme le loup. Ils se traînent, l’un près de l’autre, l’un derrière l’autre ; si l’un tombe, l’autre vient le flairer pour voir s’il est mort ; car l’un des deux doit survivre et se nourrira du compagnon devenu cadavre. Le

  1. Traduit en français par Paul Wentz, et paru dans l’Illustration.