Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fameux axiome japonais sur « celui qui durera un quart d’heure de plus que l’autre, » reçoit ici une application stricte. Nul n’a la force de tuer son ennemi. Bientôt ils ne peuvent plus même remuer ; peut-être mourront-ils en même temps. Soudain, l’homme à l’agonie se renverse en arrière et ne bouge plus. Alors le loup, lentement, se relève et le flaire. Mais l’homme retrouve un vestige d’énergie sous le souffle menaçant de la bête, il ouvre la bouche, et mordant l’animal au cou, il boit le sang qui coule. La bête défaille et tombe. Le lendemain, l’homme se remet à ramper ; et comme, par hasard, il allait vers la côte, il est aperçu et sauvé.

C’est pourtant lorsque Jack London ne se laissait pas trop entraîner par le goût de l’épisode pur, du drame physique où l’on sent que, l’aimant lui-même, il provoque sans peine un frisson attendu par le lecteur, c’est alors qu’il touche à une plus réelle beauté. Dans les Contes des mers du Sud, il devient presque un égal de Stevenson, par sa description vivante et forte des paysages de la mer, par sa curiosité qui s’affine, par des frémissements devant d’autres problèmes que ceux de la farouche lutte pour la vie. Manquant toujours de cette forme parfaite qu’il a l’air de n’avoir pas cherchée, qu’il n’a peut-être pas soupçonnée, — et pourtant il aimait les grands styles d’écrivains, — il atteignait dans ces nouvelles et ces contes à un autre style, celui des évocateurs, qu’ils soient romanciers, peintres ou musiciens. Ainsi en est-il dans ses deux volumes de contes en mer ; ainsi, également, en ces deux remarquables nouvelles d’un autre livre, Strength of the Strong (la Force des Forts), deux nouvelles qui, l’une et l’autre, ont trait à l’Irlande. Ce pays est de ceux qui possèdent un charme, presque une magie, et les sensitifs s’en voient saisis avant d’en pouvoir démêler les causes. Le passant qu’a été Jack London, — sans doute au cours d’une croisière, ou pendant un séjour en Angleterre, vint-il sur ces côtes, mais, à le lire, il semble plutôt qu’il les ait hantées de son bateau même, car il décrit surtout ces petites îles qui se pressent tout autour des rivages irlandais, — ressentit ce charme et a su l’exprimer.

Le premier de ces deux contes est le retour à la terre irlandaise d’un navigateur. Il ne fut sur la mer, dit London, qu’un « laboureur. » S’il a peiné, s’il a couru le monde, mené une existence d’une dureté intolérable, c’est pour pouvoir louer des champs. Il était cadet, il n’eut point l’héritage paternel. Au