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se civilise, cesse d’être intéressant. Il agit, mais son âme est si rudimentaire que nous trouvons une insupportable médiocrité à ses amours et à ses aventures. C’est vers les êtres tout à fait simples que l’écrivain se réfugie, par eux qu’il s’évade d’un monde trop difficile et trop compliqué, où il n’a pas accès ; près d’eux, au contraire, il se sent tellement en confiance qu’il les transfigure volontiers, les faisant, soit plus brutaux que nature, ainsi que nous l’avons vu, soit plus gracieux ou plus expressifs. C’était là chez lui un romantisme inconscient ; et c’était aussi un sentiment réel de la poésie. Aussi s’en est-il admirablement servi pour peindre « nos frères inférieurs » les animaux. Là il est libre, et il les décrit non pas avec une fantaisie spirituelle, — car Jack London n’eut point d’esprit, — mais avec une admiration attendrie.


Ce juif morose, Nishikanta, quand il avait fini de se quereller avec tous les gens du bord, il prenait ses pinceaux et il essayait de peindre la mer... Mais il se mettait tout d’un coup dans une rage folle, déchirait ses dessins, les piétinait, et partait chercher son fusil automatique de gros calibre. Là perché sur le haut bord de la proue, il visait les marsouins, les dauphins et les albacores. Cela le soulageait-il donc d’envoyer une balle droit dans le corps de quelque jaillissant poisson aux splendides couleurs, d’arrêter à jamais sa mobilité éclatante, et de le voir se retourner sur le côté et couler lentement dans la mer profonde ?

Parfois, lorsqu’une tribu de baleinaux s’ébattait aux alentours, Nishikanta se laissait aller à la joie de faire du mal. Au hasard de la bande, il lui arrivait d’en toucher une vingtaine. Les balles leur mordaient la chair comme un coup de fouet, et l’on voyait l’animal surpris faire un bond en l’air, ou bien, sa queue tournoyant comme une hélice, plonger sous la surface, chargeant furieusement à travers l’océan, faisant mousser la mer à son passage [1].


Voici la description d’une conquête, — et d’un vol, — de chien (un terrier irlandais) par le steward Dag Daughtry, au cours d’une escale en Océanie à Tulagi.


Dag voit ce soir-là le chien sur la plage.

— Hullo, chien de blanc ! Que fais-tu ici dans ce pays de noirs ?

Michaël affecta l’indifférence et la dignité, mais ses oreilles agitées et la bonne humeur de ses yeux brillants montraient qu’il avait compris. Dag Daughtry était de ces hommes qui connaissent un chien dès

  1. Mickaël, Brother of Jerry.