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met au monde d’autres enfants, des garçons, des filles, onze en tout. Elle a trente-cinq ans. Samuel devient un homme, se fait instituteur dans le pays. Le sort n’est-il pas conjuré ? Non, car ce maître d’école apprend en secret la navigation. Il n’a pas de goût pour la vie terrienne, et il part. Quatre ans plus tard, il est emporté par une lame sur le pont du navire dont il est second-maître.

Margaret Henan, à ce coup, ne se décourage pas ; et bien qu’elle ait quarante-sept ans, elle décide qu’elle enfantera un nouveau Samuel. Cette fois, le village la croit folle et maudite. Elle met au monde un fils qui, d’abord, paraît sain et même remarquablement gros. Mais c’est un idiot et un monstre. A trois ans, au lieu de parler, il brait, et quelques années plus tard, son père le tue et se pend. Margaret Henan, devenue une vieille femme, n’a ni murmure ni remords. Comment en aurait-elle ? Tout ceci n’est-il pas voulu par Dieu ?

Et vit-on jamais qu’un nom porte malheur ? Avec la désarmante douceur des gens de sa race, elle s’incline, « dans sa lente certitude de l’éternité, » dit Jack London. Est-ce que Dieu qui dirige le cours des étoiles, explique la femme, s’est mis à mépriser Margaret Henan et à envoyer une grande vague du cap Horn pour jeter son fils dans l’éternité, simplement parce qu’elle l’avait baptisé Samuel ?

— Mais pourquoi Samuel ? dit l’interlocuteur.

— Sait-on pourquoi quelque chose vous plaît ? répond-elle, et après avoir parlé des goûts mystérieux, elle donne cette musicale explication : » J’aime Samuel, j’aime beaucoup Samuel. — C’est un doux nom, il y a dans le son de ce nom quelque chose qui roule merveilleusement et qui passe la compréhension. »


Jack London est mal à l’aise dans l’atmosphère du monde, et gêné, à court d’expression, quand il met en scène des hommes et des femmes qui ont appris à cacher leurs sentiments. Les deviner, il n’y réussit point, et un roman comme The Little lady of the Big House fait apparaître une si enfantine psychologie qu’il semble que ce livre ne puisse être du même auteur que le Loup de Mer ou les plaidoyers passionnés pour les travailleurs de Londres ou d’Amérique. Le roman intitulé Burning Daylight est curieux à ce point de vue : le héros, dès qu’il