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Leurs analogies sont d’autant plus intéressantes. Elles ne proviennent pas de l’un d’eux et n’ont pas l’air d’un coup monté. On les sent involontaires et, en quelque sorte, naïves. Remarquez-les, comme les signes de l’époque. Et cette époque-ci est assez particulière, qui succède à un cataclysme.

Eh ! bien, les romans divers, et très divers, que je viens de lire dénotent, chez leurs auteurs, un goût très vif du pittoresque et de l’étrangeté. L’on nous mène en tous pays, plutôt que de nous laisser jamais chez nous, parmi des paysages et des gens qui nous sont depuis longtemps familiers. Les étonnantes Nuits de M. Paul Morand, les voici : la nuit catalane, la nuit turque, la nuit romaine, la nuit hongroise et la nuit nordique ; et, si j’omets la « nuit des six jours, » les gaillards que l’on y rencontre, en plein Paris, ne sont pas nos camarades ordinaires.

Dans sa préface, M. Paul Morand feint que l’auteur supposé de son livre envie, — ce n’est que badinage, — nos écrivains régionalistes ; il en a lu les noms et, à côté de leurs noms, leurs provinces françaises : « J’étais donc à peu près tout seul sur les grands chemins étrangers, dans des vestibules d’hôtels, en consigne dans les gares, avec des gens privés de lieu géométrique, et quelle moralité ! non situables, et quel sabir ! » Au début de la Cavalière Elsa, où sommes-nous ? M. Mac Orlan nous le dira. Premièrement, il nous a dépavées, d’une rude manière ; il a dressé autour de nous des murailles d’ombre inquiétante. Et, quand nous apprendrons que nous sommes en rade de Sébastopol, où sévit le bolchévisme, nous aurons l’assurance d’être au delà du bout du monde. L’un des héros de ce roman, Jean Bogaert, après avoir été matelot, se révèle un artiste, graveur et peintre, aussi poète, et qui arrange sa vie au gré de son imagination. Ce qui le tente est l’aventure, même dans l’existence qu’il essaye de rendre désormais casanière. Il quête aux livres des aventuriers « les éléments d’une véritable histoire qui valût la peine d’être vécue, tout au moins intellectuellement. » Je crois que, par moments, l’auteur de la Cavalière Elsa donne à son Jean Bogaert les traits emblématiques de l’homme et de l’artiste qu’il veut être. Jean Bogaert a péniblement voyagé de Brindisi à Tripoli, de Tripoli à Constantinople, de Constantinople à Sébastopol, où il a vu, aux branches fraîches des platanes, des pendus si nombreux qu’on eût dit les fruits des arbres ou « un vol d’oiseaux migrateurs en costume de voyage, se reposant sur des branches hospitalières. » Enfin, ses yeux se sont accoutumés à des « ornementations bizarres. » Ses voyages