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le peu d’amitié qu’il faut qu’obtienne un personnage de roman pour qu’on ne l’abandonne pas tout de go.

Sa lâcheté n’est pas tout son caractère. En outre, il a une philosophie. Est-ce à cause de sa philosophie qu’il devient lâche, ou bien a-t-il adopté une philosophie lâche comme il la désirait ? L’accord de cette doctrine et de ce garçon, M. Thérive ne l’invente pas : il le constate ; et il nous montre comme nous avons tort et nous flattons d’une liberté fausse, en nous figurant que nous choisissons nos doctrines, lesquelles ne sont pas notre manteau, mais notre peau... Donc, Taillandier s’expatrie et, de la société qu’il a quittée, il tombe dans une coterie de déserteurs et de bohèmes. Il ne sera point seul. Et il a rêvé de l’être : on n’est pas seul, on ne l’est jamais. Il aura des révoltes vives contre ses nouveaux compatriotes, les sans-patrie et, quand ils seront trop abjects, il rougira de leur camaraderie ; quand ils le complimenteront d’être leur pareil, il sentira son ignominie. Ce qui lui manquera, c’est la force de rompre avec tant de sophismes dont les liens le tiennent, et de rompre avec un amour dont la vile douceur convient à sa faiblesse.

Or, nous arrivons à plaindre Taillandier. M. André Thérive ne le hait pas. Mais il le juge et ne cesse de le juger. Voilà une tête où les idées ne s’embrouillent pas. Ce roman si douloureux garde la vérité intacte et garde, avec simplicité, une sérénité intelligente.

Il y a, dans ce roman pathétique, plusieurs passages qui annoncent la gaieté de l’auteur, sa plaisante ironie. Hors de France et parmi les sans-patrie. Taillandier retrouve une Autrichienne qui a été sa bien-aimée autrefois, et qui l’a quitté pour aller à d’autres erreurs. Asseline raconte à son ancien amant ce qu’elle est devenue depuis lors. Elle a vécu en Egypte ; et elle passe, tous les ans, six mois dans le Tyrol ; à Salzbourg, elle a lu un livre de Taillandier, etc. « Elle omettait bien des choses, mais c’était avec bonne grâce... » Voilà un trait de ravissante comédie ; et lisons le Voyage de M. Renan.

Ce n’est pas M. Renan qui voyage, mais le sosie de cet écrivain célèbre. M. Renan ne désirait pas de quitter Paris ou la Bretagne. Or, il s’agit d’aller en Afrique et d’apporter au Collège de France une pierre, une lourde pierre aux parois de laquelle est gravée en caractères araméens une inscription votive. Le sosie de M. Renan passe la mer. Seulement il est pris par les fidèles du Mahdi, cela en 1885, mauvaise année où les Mahdistes sont en guerre avec les Anglais et les Égyptiens de Gordon. Le faux Renan n’était aucunement préparé à de si redoutables aventures et, pour ainsi parler, n’avait pas son