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ne se prêtera donc à une action coercitive, même si elle est explicitement prévue et stipulée par le traité. Si le Gouvernement français croit devoir recourir à de tels moyens, l’Angleterre assistera avec regret, sans y participer, à l’expérience.

Notre esprit logique et droit a quelque peine à discerner les mobiles d’une telle politique et ses desseins ; les origines en sont complexes et il faut, pour les démêler, tenir compte de l’opinion publique et des sentiments personnels de M. Lloyd George. L’Angleterre est inquiète ; elle souffre du fléau du chômage ; elle craint de ne jamais retrouver sa prospérité d’avant la guerre et, par un instinct naturel aux hommes, elle cherche le remède dans un retour à l’ancien état de choses : commerce avec la Russie, commerce avec l’Allemagne. Elle ne voit pas que le chômage et la crise économique tiennent à des causes plus profondes, plus complexes dont la guerre a seulement précipité les effets. M. Amery, membre éminent du Cabinet britannique, l’a montré récemment. On a fait croire à « l’homme de la rue » que toute mesure ayant pour objet de forcer l’Allemagne à payer ce qu’elle doit précipiterait une crise économique dont l’Angleterre redoute le contre-coup ; il craint que le Français ne cherche l’occasion d’écraser l’Allemagne, de l’empêcher de travailler et de prospérer ; et une telle appréhension affecte non seulement ses intérêts matériels, mais cet idéalisme nourri de la Bible et vaguement humanitaire qui est, depuis la Réforme, un des traits permanents et spécifiques du caractère britannique. Il n’est pas généreux d’écraser un vaincu ; le peuple allemand est laborieux, sérieux ; il a le droit de vivre ; certes le Français est sympathique et il a montré, dans la dernière guerre, qu’il était capable d’énergie, mais il est nationaliste, chauvin ; il appartient aux Anglais de réconcilier, après la bataille, vainqueurs et vaincus : ainsi s’amalgament dans l’esprit public, par un travail très spécial à la mentalité britannique, l’intérêt matériel le plus positif et l’idéalisme le plus imprécis. Il manque à l’Anglais le souvenir, jalonné de ruines, d’invasions étrangères.

Le peuple anglais est simple et loyal ; il reste très fidèle à une amitié cimentée par le sang de tant de milliers de ses enfants ; mais le Gallois souple et rusé auquel il a confié ses destinées a l’âme plus complexe. L’habileté et la force de M. Lloyd George viennent précisément de l’art avec lequel il sait diriger l’opinion, tout en la flattant et en ayant l’air de lui obéir. Il a, lui, voulu et prévu l’échec de la Conférence : il l’a préparé par la publication de la note Balfour qui fermait toute issue à une négociation plus ample. Sur la question