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et nous couvre d’escarbilles. Les matelots disent en plaisantant que c’est un mauvais tour des Boches. — Le Michelet continue à ne pas tanguer, mais l’Océan est pourtant moins clément que la Méditerranée ; un paquet de mer entre de temps en temps par le sabord de Clarac, qui est à l’étage au-dessous du mien, et ce jeune cavalier a appris à cette occasion ce que c’est que « d’embarquer une baleine. »

D’ailleurs, cette escale imprévue ne durera que la seule journée du 11 ; le consul de France est prévenu par la télégraphie sans fil de faire préparer notre charbon. Je compte visiter l’île rapidement, en voyageur. Depuis 1889, en allant au Sénégal ou en revenant en France, j’ai très souvent fait escale aux Canaries, mais dans l’île de Ténériffe dont la capitale Santa Cruz avait un petit port devenu insuffisant. La trop grande profondeur de l’Océan n’en a pas permis l’agrandissement, et ce sont les hauts fonds de la Luz qui l’ont fait élire ; il fait à Santa Cruz une concurrence redoutable.

Mais voici que le 11 juin au matin, après notre mouillage à la Luz, le Consul de France, puis deux officiers de la marine royale espagnole, viennent nous apporter une aimable invitation des autorités de l’île, qui tiennent à se charger de notre bien-être pendant notre séjour dans la Grande Canarie. Il nous faut bien y consentir ; j’étais en tenue civile, j’en serai quitte pour me mettre en uniforme, et nous voici à terre, chez le commandant de la marine, l’alcade, le général commandant les troupes, puis le délégué du Gouvernement. Toutes ces autorités nous font fête. A l’hôtel de ville, il nous faut boire du vin de Champagne, dans un pays dont le Malvoisie est le premier du monde. Un beau musée très bien présenté nous révèle les restes des anciens habitants de l’île, ces Guanches cousins des Berbères, dont nous remarquons les cheveux blonds. Le commandant des troupes est le général de Monteverde, un vrai soldat qui a fait toute sa carrière à Cuba et au Maroc et qui a visité le front français. Il en a rapporté une grande admiration et une vive sympathie pour nos troupes et nos états-majors.

Et nous roulons en auto à travers le pays. La route grimpe au milieu des torrents de lave solidifiée, d’un gris terne. De temps en temps, un petit replat de terre volcanique porte une bananeraie très dense, produisant de lourds régimes. Mais l’ensemble est sévère, même triste. Nous atteignons un plateau assez vaste,