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Le 24 juin, à 7 heures du matin, voici en route, en dix automobiles, toute la mission que pilote le Gouverneur avec ceux des élus de la colonie qui s’y trouvent en ce moment. Nous allons saluer chez elles les populations de la Martinique et visiter l’ile.

A propos d’une petite question de protocole dans l’envoi des invitations, qu’il a d’ailleurs vite réglée, le Gouverneur me met au courant de la situation politique et économique de son Gouvernement. La crise mondiale sévit durement par suite de la restriction générale d’après-guerre qui tombe d’abord sur les produits tropicaux moins essentiels à la vie européenne ; la plus-value de ces produits avait précipité la course à la culture exclusive de la canne à sucre, déjà commencée, et fait négliger toutes les autres cultures, même celle des vivres essentiels, que pendant les hostilités on achetait à l’extérieur avec les gros bénéfices des sucres et des rhums. Mais la consommation s’est restreinte et le Nord de la France fabrique de nouveau le sucre de betterave ; le rhum ne se consommait guère que dans les tranchées et des spéculations malhonnêtes ont achevé son discrédit. D’où un mécontentement général et une opposition systématique du Conseil général de trente-deux membres, avec lequel il faut compter. Cette opposition se manifeste à toute occasion et lui rend la vie insupportable. Il tiendra tout le temps nécessaire, mais rentrera en France, dès que son ministre le lui permettra. Mon passage est l’occasion d’une trêve sacrée, très bien observée, ainsi que je puis m’en rendre compte, et il en escompte, dans la situation, une petite détente dont il veut bien me faire honneur.

M. Gourbeil a été gouverneur du Sénégal et de la Cochinchine, et il a laissé partout les meilleurs souvenirs ; son intelligence très ouverte, sa haute culture, son caractère droit et sûr, s’accompagnent de beaucoup de bienveillance. Je suis à la fois très touché et très peiné de ce qu’il veut bien me confier. Ainsi ce magnifique pays, si éprouvé par la situation d’après guerre et par tant de crises depuis la Révolution française, se déchire lui-même au lieu de chercher des forces nouvelles ! Il est pour- tant si beau ! Nous roulons sur de bonnes routes, qui datent presque toutes du Gouvernement des Amiraux : sur les torrents et les cascades écumantes, les ponts portent presque toujours