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noirs, nos grands pères n’ont donc eu que des gestes généreux, et les rancunes ancestrales doivent être aujourd’hui complètement abolies. Mais je ne remarque ici rien de tel ; et je crois la population des campagnes assez paisible, certes très influençable, mais une administration paternelle et vigilante doit pouvoir contrebalancer ici lus menées d’agitateurs intéressés. Je pense que le développement de l’instruction doit y contribuer beaucoup.

Nous voici dans le paysage désolé de Saint-Pierre. Les torrents de lave qui ont dévoré la ville en descendant du Mout-Pelé sont encore visibles : on peut craindre qu’ils ne le soient toujours, La ville ne s’est pas reconstruite depuis l’effroyable cataclysme de 1902. C’est à peine si quelques maisons s’élèvent çà et là ; il y a surtout des baraques en planches qui rappellent celles des régions de l’rance où d’autres cataclysmes, dus à la main de l’homme, ont produit les mêmes ravages.

Mais ces malheurs nouveaux ne nous consolent pas des autres : ici était la tête et le cœur de la vieille Martinique, et ils ont été frappés du même coup. Un adjoint au maire, l’un des rares survivants, nous fait en termes très simples le récit de la catastrophe ; en lui répondant, les mots s’arrêtaient dans ma gorge.

Nous reprenons notre route. Partout les villages pavoisés : au Morne Rouge, à Ajoupa, Bouillon, Lorrain, Marigot, partout le même accueil. A Sainte-Marie où le député maire rappelle qu’il a soutenu mon projet d’utilisation des troupes noires, dans cette petite ville et à la Trinité, la foule est plus dense, les démonstrations sont plus étudiées ; on me récite des vers de circonstance, on me présente des aquarelles naïves ; mais l’enthousiasme populaire est le même partout.

Et toujours je suis du pays ; colonial et père des troupes noires, on m’a adopté. J’ai dit que le soldat noir devait combattre à côté du blanc, et il l’a fait, n’est-ce pas ? — Oui, mes amis ! Vous et vos cousins de l’Afrique occidentale, vous l’avez fait, et comment ! Vieille colonie ne veut pas dire colonie décrépite ; vous avez la jeunesse éternelle de vos climats sans hiver ; vous vous êtes relevés de crises terribles et vous traverserez celle-ci. Mais travaillez comme vous avez combattu : concorde et travail !

La nuit est venue. il faut néanmoins s’arrêter à Gros-Morne et à Saint-Joseph, où des feux sont allumés sur la route, où des torches brandies par les habitants nous accompagnent. Il semble