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que l’attente de notre arrivée ait comprimé l’enthousiasme, dont les démonstrations éclatent avec encore plus de violence. Et j’entendrai toujours une vieille négresse, qui n’avait de blanc que les cheveux, courir près de notre automobile à l’entrée d’un village en criant : « Vive la France qui passe ! » Le gouverneur Gourbeil m’a saisi brusquement le bras, mais j’avais bien compris. Bref, nous rentrons dans la modeste villa du gouverneur à dix heures du soir, moulus, affamés, très heureux.


Nous sommes près de quitter Fort-de-France où j’ai encore beaucoup à voir. Un pèlerinage à la maison du commandant Gallieni s’impose. C’est là que le futur maréchal de France passa trois ans, après son exploration sur le Niger et avant d’y retourner comme commandant supérieur. Son souvenir y est pieusement gardé, bien qu’une fabrique de chocolat se soit établie dans les locaux attenant à la maison. Je pense que le grand colonial ne serait nullement blessé de patronner une industrie naissante, qui permet d’utiliser sur place les produits de l’Ile, le sucre, le cacao, la vanille, et même qu’il souhaiterait le grand développement de cet excellent produit.

Dans tous les pays du monde, c’est dans les marches qu’on prend le contact le plus instructif avec les populations et avec les productions du sol : aussi je ne manque pas de visiter celui de Fort-de-France, Puis j’inspecte le camp de Balata, dont les casernements inoccupés menacent ruine faute de crédits ; quelques maisons d’officiers servent de villégiature aux fonctionnaires qui, pendant les grandes chaleurs, viennent chercher à cette altitude un peu d’air et de fraîcheur.

Je donne le 24 un grand bal à bord du Jules Michelet. La plage arrière, les batteries basses, le pont, les appartements de l’amiral et les miens, les carrés d’officiers, tout a été orné de pavillons, de verdure et de fleurs ; les longs canons de 155 de la tourelle arrière paraissent un peu étonnés de se voir enguirlandés de lampes électriques. L’ensemble est très réussi, et on danse avec entrain à tous les étages. Plus de douze cents personnes (on dit deux mille, mais c’est une exagération) se pressent à bord. J’ai pris soin d’inviter les créoles blancs, qui se tiennent à l’écart même des réceptions officielles pour ne pas se mélanger aux noirs, et on me dit que c’est la première fois qu’ils consentent à les coudoyer ailleurs que dans la rue. Ce