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insister sur cette précaution. La suppression des mauvais traitements, le droit à la famille, l’égalité devant les tribunaux, enfin l’appellation de citoyen à une époque où les mots avaient tant de valeur, voilà ce qu’il donnait en échange du travail momentanément imposé. Mais, après avoir expliqué le décret du 16 pluviôse an II abolissant l’esclavage, il se refusa énergiquement à promulguer la Constitution de l’an III, qui ne faisait pas de distinction de couleur entre les hommes. Idée noble, idée généreuse, dont l’énoncé était nécessaire, mais que seul le temps pouvait permettre de réaliser complètement.

Malheureusement pour la mémoire de Victor Hugues, ces vues si clairvoyantes étaient obscurcies par instants ; proconsul absolu, sans contrôle sur lui-même, il fut à certains moments un tyran grossier et fantasque et il se servit trop souvent de la guillotine qu’il avait apportée de Brest. On compte ses victimes, on oublie ses services. Le Directoire l’enleva au théâtre de ses exploits et l’envoya gouverner la Guyane. Puis le contre-amiral Lacrosse fut nommé capitaine général des Antilles et son arrivée à la Guadeloupe fut considérée comme la préparation au retour de l’ancien régime. Lacrosse fut rembarqué pour la France. Force devait rester au pouvoir de la métropole et le premier Consul, en rétablissant l’esclavage, envoya à la Guadeloupe Richepanse avec 4 000 hommes, en même temps que Leclerc à Saint-Domingue avec un corps de 21 000 hommes, que des renforts successifs portèrent à 50 000 hommes. De rudes combats et la fièvre jaune décimèrent les troupes françaises avant le rétablissement très momentané de l’ordre. A la Guadeloupe en particulier, les insurgés se battirent avec acharnement ; dix mille noirs furent tués en combattant, fusillés ou déportés, et la lutte ne prit fin que quand leur chef, le mulâtre Delgrève, se fut fait sauter avec quatre cents compagnons.

Les premiers détachements noirs, désarmés et embarqués par surprise, allèrent à Brest former le Corps des pionniers noirs qui s’illustra au siège de Gaëte, puis, sous le nom de Royal Africain, figura dans la garde du roi Murat. Les mémoires de l’époque, entre autres ceux du général Hugo, père de notre grand poète, racontent les exploits de ce régiment contre les bandes de Fra Diavolo. Enfin, les mémoires du sergent Bourgogne nous montrent, le 1er janvier 1813, à Elbing, sur la Vistule, devant le palais du roi de Naples, un bataillon noir rangé