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chez lesquels l’hôte était un être sacré... Son indignation était doublée par le calme de l’Empereur qui l’exaspérait.

— Il faut que j’aille immédiatement prendre de ses nouvelles, constater par moi-même qu’il n’a pas été touché...

Malgré les assurances qu’on lui donnait et les objections qu’on essayait de lui présenter, sans vouloir écouter personne, elle s’échappa, elle descendit précipitamment dans la cour, monta dans le coupé couleur de muraille qui stationnait nuit et jour devant la grille et se fit conduire à l’Elysée.

Très émue, elle monta l’escalier et sans même se faire annoncer, elle entra dans le cabinet du Tsar. Elle trouva Alexandre en proie à une agitation fébrile qui la surprit d’autant plus qu’elle contrastait avec le calme de Napoléon III.

Par réaction sans doute, ayant fait un effort surhumain pour se contraindre en public, il s’abandonnait à son naturel : il arpentait nerveusement la chambre et parlait de repartir immédiatement pour la Russie.

Malgré son désir d’être débarrassée d’un hôte aussi dangereux, l’Impératrice crut devoir lui démontrer qu’il ne pourrait abréger son séjour sans paraître fuir devant les menaces des anarchistes... L’attentat manqué servirait de leçon : il en préviendrait d’autres et ferait redoubler les précautions de la police. Le programme officiel n’était pas rempli, il fallait l’exécuter jusqu’au bout ; il n’y avait plus que deux jours : le soir, fête donnée par le Préfet de la Seine, et le lendemain, excursion à Fontainebleau.

Le Tsar se laissa convaincre : il consentit à paraître le soir même au grand bal de l’Hôtel de Ville.

Cette prétendue fête alarmait particulièrement les souverains et préoccupait la police, car dans ces circonstances solennelles, les portes s’ouvraient toutes grandes à d’innombrables invités et rendaient la surveillance très difficile.

Pour lui-même. Napoléon III ne craignait rien : il était fataliste et avait foi dans son étoile qui jusqu’alors l’avait toujours protégé ; plus encore que dans ses agents, il avait confiance dans les yeux perçants de sa femme qui découvraient les conspirateurs dans la foule. Plus d’une fois, par la seule suggestion de son œil d’acier, elle avait paralysé le bras de l’assassin ; dans plusieurs procès, certains individus arrêtés avaient avoué que, s’étant crus découverts par le clair regard de la souverain