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l’empereur de Russie l’invitait à venir s’asseoir à sa table, — avec l’autorisation du général Symons. — Le Prince se rendit à la salle à manger où le Tsar l’accueillit cordialement, il le plaça en face de lui et lui présenta ses deux fils Wladimir et Alexandre, qui devait régner sous le nom d’Alexandre III.

Vers la fin du repas, le lieutenant Louis-Napoléon se trouvait sur des charbons ardents, partagé entre l’étiquette impériale et son devoir militaire : il devait avec son régiment précéder l’Empereur pour le recevoir sur le terrain de la revue et il n’osait se lever de table.

Le jeune officier échangeait des regards désespérés avec son général qui lui faisait signe de partir… Enfin, il osa demander au Tsar la permission d’aller rejoindre ses camarades pour se trouver sur la place d’armes à l’arrivée de l’empereur de Russie.

— Pas du tout, répondit Alexandre en souriant, je ne vous donne pas l’autorisation de me précéder et si votre général n’y voit pas d’inconvénient, je désire que vous vous rendiez avec moi sur le champ de manœuvre et nous assisterons ensemble au défilé. Et ainsi le fils de Napoléon III passa la revue des troupes anglaises à côté du fils du vaincu de Sébastopol.

Cet acte de courtoisie de l’Empereur envers le jeune Prince français, — accompli peut-être malgré l’ambassadeur de la République qui n’osa pas protester trop hautement, — influa sur la situation de l’exilé. Alexandre fut le premier à le faire sortir coram populo du rang où sa modestie et sa dignité le confinaient. Peu à peu, le jeune Prince devait obtenir les égards auxquels il avait droit pour ses mérites personnels et la sympathie respectueuse qu’il inspirait.

Et il fut digne de l’éloge que la reine Victoria fit un jour à sa mère :

— Votre fils et vous, lui dit la vieille souveraine, vous ne m’avez jamais causé un embarras…

Hélas ! le premier embarras que dut causer le jeune héros à l’Angleterre, ce fut sa mort !…


JOSEPH PRIMOLI.