1639, au moment du procès de Vincennes, il repousse, ou bien il atténue les reproches faits à Saint-Cyran, et parait le trouver, en définitive, assez inoffensif ; dix ans plus tard, rétrospectivement, il se montre fort sévère pour le défunt, et insiste sur le sens théologiquement périlleux de certains de ses propos [1]. L’Oratorien Condren, lui, depuis 1638, soupçonne dans Saint-Cyran un novateur assez redoutable ; et pourtant, c’est seulement à son lit de mort, deux ans plus tard, qu’il met ses familiers en garde, expressément, contre les doctrines de ce novateur. Ainsi oscillent les plus vénérables des contemporains : ils redoutent de juger témérairement, s’ils parlent ; mais d’autre part, s’ils se taisent, ils pensent aux malédictions qui châtient certains silences. Et tandis que l’enseignement de Saint-Cyran risque de plonger d’autres âmes dans le trouble, ils y sont peut-être plongés, eux, par « l’affaire Saint-Cyran, » ayant d’abord scrupule d’accuser, et scrupule, ensuite, de n’avoir pas accusé.
Volontiers M. Bremond les libérerait-il de leur second scrupule. Le grand Arnauld, voilà pour lui le coupable, voilà pour lui le machinateur de l’hérésie : il fut, celui-là un volontaire et non point un velléitaire, un logicien et non point un névrosé, un dictateur effectif et non point un malade mégalomane ; et quoi qu’en ait pensé Raconis, M. Bremond n’admet même pas que, dans le livre de la Fréquente Communion, la signature d’Arnauld voile une importante collaboration de Saint-Cyran. Mais, dira-t-on, dès le lendemain de la mort de Saint-Cyran, Port-Royal l’honora comme son grand docteur, tout en le corrigeant lorsqu’il l’imprimait. A quoi M. Bremond répondrait sans doute que le Port-Royal de 1643 et des années suivantes, en se couvrant du nom de Saint-Cyran, se conciliait les sympathies des évêques, toujours reconnaissants à celui-ci d’avoir revendiqué les droits de la hiérarchie épiscopale à l’obéissance des réguliers. Et puis, au surplus, on y avait aimé Saint-Cyran, et, outre-tombe, on continuait de l’aimer.
Mais pour l’aimer ainsi, le cœur avait ses raisons que la raison connaissait bien ; et les voici formulées, plus tard, dans le Nécrologe de l’abbaye de Port-Royal : « C’est M. de Saint-Cyran qui nous a inspiré le goût de la piété chrétienne, l’attachement
- ↑ Tous les textes sont rassemblés, et fort bien étudiés, dans un opuscule de M. Costa, l’éditeur de la correspondance de saint Vincent, intitulé : Saint Vincent de Paul et Saint-Cyran (Paris, 1914).