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excellence » déclare qu’il « fuira toujours de cent lieues la conduite d’une âme, » surtout la direction des femmes, qu’il sent « trop peu dociles ; » et bien vite il se décharge de la direction de Port-Royal sur les épaules de Singlin, qui réintroduit une pratique sacramentelle plus fréquente. Si bien que M. Bremond peut écrire : « Le jansénisme de Saint-Cyran, si tant est que l’on doive donner ce nom aux erreurs du personnage, ne sera guère qu’une rougeole, je ne dis pas pour la Mère Angélique, vouée de naissance à une religion de crainte, mais pour la Mère Agnès et, dans l’ensemble, pour la première génération de Port-Royal. »


III

Mais les générations chevauchent les unes sur les autres : si Mère Angélique, par son âge, appartient à la première, les heures exaltées de sa célébrité coïncident plutôt avec la seconde ; et l’on doit se demander ce que fut Saint-Cyran pour cette seconde génération, pour celle à laquelle M. Bremond réserve l’étiquette de janséniste.

M. Albert de Meyer publiait, il y a trois ans, à Louvain, un très précieux volume qui s’intitule : Les premières controverses jansénistes en France (1640-1649) [1] : avec une minutie qui ne redoutait point l’aridité, il analysait toutes les polémiques qui s’accumulèrent en ces neuf années. Or il y a dans ce livre, devenu l’indispensable complément du Port-Royal de Sainte-Beuve, tout un chapitre intitulé : « La révision officieuse du procès de Saint-Cyran. » L’auteur y raconte les efforts que firent Arnauld et Le Maitre, en 1643 et 1644, pour décharger feu Saint-Cyran des griefs qu’on faisait à sa théologie, et les efforts adverses du Jésuite Pinthereau pour représenter Saint-Cyran comme une sorte d’Eole, à demi-visible, qui du fond de ses cellules d’ascète, ou bien de prisonnier, avait su déchaîner sur le monde la tempête janséniste.

Les impressions définitives de M. Bremond sur Saint-Cyran se rapprochent beaucoup plus de celles d’Arnauld et de Le Maître, que de celles de Pinthereau. Saint Vincent de Paul, en ce temps-là semble avoir flotté d’un avis à l’autre : en 1638 et

  1. Louvain, Van Linthout, 1919.