Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

froid et très noir ; les pieds glissaient dans la terre labourée ; on était constamment forcé de s’arrêter. L’humidité et le froid traversaient mes habits ; mes jambes me refusaient le service, mes yeux se fermaient. Nous fîmes, au milieu de la nuit, une courte halte dans le hameau Ouporni. Un petit feu que j’aperçus de loin me conduisit à une « khata » (maison paysanne) pleine d’officiers et de soldats. Il faisait chaud, on pouvait dormir : c’était l’idéal ! Je m’endormis immédiatement d’un sommeil profond. Mais au bout de quelques minutes, ou de quelques secondes, qui sait ? ordre de repartir. Je tardais à me lever. Le convoi étant long, cela me permettait encore quelques minutes de repos. Enfin, la peur de me trouver seul au réveil me fit reprendre la marche, et me rejeter dans le froid. Auprès d’un des fourgons, un officier de ma connaissance m’offrit une bonne gorgée d’eau-de-vie et me donna une veste étroite et sale qu’il avait tirée je ne sais d’où. Je l’endossai avec peine : elle me tint chaud ; mais mon accoutrement mettait en joie tous ceux que je devançais ou rencontrais. J’étais coiffé d’une casquette d’automobiliste qui me couvrait les oreilles, vêtu d’un manteau imperméable, chaussé de bottines et de guêtres jaunes, tous objets que j’avais achetés à Paris avant la guerre de 1914. Et, pour comble de comique, cette veste étroite et ridicule passée par-dessus l’imperméable ! Il faut l’avouer, j’étais loin d’avoir l’air martial. Mais qui m’eût dit, quand j’achetais ces effets à Paris, dans un magasin des boulevards, qu’un jour viendrait où je les traînerais par les steppes du Kouban ?

Le matin, nous réussîmes brillamment à tromper les bolchévistes, et à traverser la voie ferrée, passant, pour ainsi dire, au nez des trains blindés. Le soir, nous sortîmes de l’encerclement, sans pertes en blessés et chariots, et non sans avoir endommagé un train blindé bolchéviste qui, enveloppé de fumée, se sauva à toute vitesse.

Les bolchévistes avaient beau nous être très supérieurs en nombre et en artillerie, toutes nos rencontres avec eux leur furent funestes. Il en fut ainsi jusqu’à Ekaterinodar.

Une première tentative qu’ils firent pour arrêter notre marche à la frontière du Don et du gouvernement de Stavropole, leur fut désastreuse. Nos pertes furent insignifiantes, — un homme tué et vingt blessés, — tandis que les bolchévistes, qui ne savaient pas faire usage de leur artillerie, qui manquaient